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Van den Enden comptait, pour la réussite de son projet, sur la disposition où se trouvaient alors les esprits, tant dans les Pays-Bas que dans certaines provinces de la France. Louis XIV venait d’accabler la Hollande, et elle en était réduite à de dures extrémités, quand, laissant Turenne et Luxembourg continuer la campagne qu’il renonçait à terminer, ce monarque quitta subitement le théâtre de la guerre et revint à Versailles, où il arriva le 1er août 1672. L’armée française se vit, de la sorte, partagée en deux, une partie ayant fait escorte à Louis XIV à travers la Flandre espagnole prête à entrer en hostilité contre nous, et l’autre partie demeurant occupée à la garde des villes conquises ou à assiéger des places de peu d’importance.

Les Provinces-Unies faisaient alors activement agir leurs agens diplomatiques près des principaux états de l’Europe, afin de s’assurer leur appui et de les pousser à s’unir pour mettre un frein à l’ambition du roi de France. L’Angleterre commençait à se détacher de son alliance avec Louis XIV, et les Provinces-Unies se rapprochaient décidément de l’Espagne. Le moment parut donc propice à Van den Enden pour susciter à la France de graves embarras, provoquer par des émissaires des mouvemens séditieux dans les provinces qui s’étendent sur le littoral de la Manche, et ouvrir à une flotte hispano-hollandaise l’embouchure de la Seine, de façon à mettre entre les mains de nos ennemis un territoire qui leur rendit facile l’accès de la capitale.

La première personne vers laquelle se tourna Van den Enden, pour la faire entrer dans ses vues, fut naturellement Latréaumont. Il l’avait été trouver afin de lui réclamer 3 ou 400 livres, dont cet officier était resté son débiteur, pour les leçons qu’il lui avait données à Amsterdam ; des intelligences ne tardèrent pas à s’établir entre le maître et le disciple, en vue d’organiser un complot contre la France et son monarque et de réunir des conjurés. Ils s’arrêtèrent à l’idée de faire soulever la Normandie et d’assurer, par ce soulèvement, aux vaisseaux hollandais et espagnols qui se trouveraient dans la Manche, les moyens d’opérer un débarquement à Quillebeuf. Ce plan n’était au reste que celui que Latréaumont avait autrefois exposé à Van den Enden. Lorsqu’il renoua ses relations avec le médecin flamand, Latréaumont insista pour qu’il fût définitivement adopté. L’interrogatoire de Van den Enden nous apprend, en effet, que l’officier français lui avait dit alors qu’une sédition pouvait être aisément provoquée en Normandie, que lui Lautréaumont avait déjà fait soulever cette province on 1657 et qu’il avait fait agréer pour chef aux insurgés le feu maréchal d’Hocquincourt, et qu’en 1659 il leur avait proposé au même titre le comte d’Harcourt. Il s’agissait