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de la plus révoltante insolence aux courtisans de Louis XIV et des Stuarts.

Depuis un demi-siècle, c’était ordinairement en Hollande que se rendaient, comme l’avaient fait Descartes et Saumaise, ceux qui voulaient penser, écrire librement et qui repoussaient les opinions réputées orthodoxes. En 1667, il semble qu’il ne manquât pas, dans les Provinces-Unies, d’hommes qui, sans posséder le génie de Descartes ni l’érudition de Saumaise, avaient agi comme eux et chez lesquels l’amour de la liberté religieuse et philosophique s’alliait à l’hostilité contre Louis XIV, dont le gouvernement était l’ennemi de cette liberté. De ce nombre était un certain François Affinius Van der Enden, alors âgé d’environ soixante-six ans, et qui habitait Amsterdam, où il exerçait la médecine. Originaire d’Anvers, il avait fait ses études chez les jésuites et s’était d’abord affilié à leur compagnie. Doué d’une prodigieuse mémoire et d’un goût prononcé pour tout apprendre, il joignait à la connaissance approfondie des langues classiques, qu’il avait professées pendant plusieurs années, celle de l’hébreu et du syriaque. Grâce à une remarquable aptitude linguistique, il arriva à parler avec aisance l’allemand, l’italien, l’espagnol et le français ; et non-seulement il réussit à s’approprier parfaitement notre idiome, il apprit encore, après un voyage qu’il fit dans la suite en France, à converser dans quelques-uns des dialectes des provinces de ce royaume, notamment en provençal, en languedocien, en gascon et en périgourdin.

Il dut quitter les jésuites à la suite d’une intrigue avec la jeune femme d’un officier dont il était épris, et alla se fixer en Hollande. Il s’y maria à une Anversoise d’une famille originaire de Dantzig. Reçu docteur en médecine, il se livra à des expériences de chimie qui l’amenèrent à composer de nouveaux cosmétiques dont il fit commerce, et acquit, de la sorte, une certaine notoriété. Les études de sciences et de philosophie où se plongea Van den Enden, achevèrent de l’éloigner des principes que lui avaient inculqués les jésuites, ses premiers maîtres. Il fit comme d’autres incrédules sortis de l’enseignement de la fameuse compagnie, tels que Voltaire, Diderot et l’astronome athée Jérôme Lalande, il rejeta les doctrines chrétiennes dans lesquelles il avait été nourri. En dépit de ses études théologiques, peut-être à raison même de ces études, Van den Enden finit par abandonner toute religion. Bien que croyant encore à l’existence d’un Être suprême, il se refusait à admettre l’immortalité de l’âme. La controverse théologique n’était pour lui qu’un jeu d’esprit, mais la prudence lui imposait de ne point déclarer publiquement son scepticisme et il ne le laissait percer que dans des entretiens privés. Il était, au dire de Du Cause de