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public que ce qu’on pourrait appeler la superficie de l’événement ; on lui cacha le danger réel qu’avaient couru le pays et son roi. Ce n’était pas seulement une partie du territoire du royaume qui était menacée d’être livrée aux ennemis, c’était encore le principe monarchique qui se trouvait attaqué. Il s’agissait à la fois d’une revanche de l’Espagne sur Louis XIV et de l’établissement en France d’un gouvernement républicain. Voilà ce que les écrivains du temps n’ont su qu’imparfaitement ou n’ont même pas soupçonné. Au lieu de démêler les fils de cette conspiration, ils nous ont parlé surtout du chevalier de Rohan, qui avait été un des lions de la cour ; ils se sont apitoyés sur le sort d’un seigneur de si noble maison ; ils nous ont entretenus de ses folies et de ses égaremens ; ils n’ont point insisté sur ce qu’il y avait de sérieux, bien que téméraire dans ses projets. Nous pouvons aujourd’hui, grâce à des documens inédits, mieux apprécier le caractère du complot auquel son nom et celui de Latréaumont demeurent attachés.

En 1667, lors de la guerre de Flandre, dans laquelle Louis XIV enlevait à l’Espagne d’importantes places des Pays-Bas, les Hollandais, qui avaient été si longtemps les ennemis de cette dernière puissance, dont ils avaient secoué le joug au prix de tant d’efforts et de luttes, commencèrent à éprouver à son égard d’autres sentimens. L’ambition du roi de France les inquiétait. Il était manifeste que ce monarque, devenu le premier potentat de l’Europe, convoitait toute la contrée qui séparait ses états des Provinces-Unies, et menaçait d’être pour elles un voisin impérieux et incommode. Déjà Louis XIV avait fait sentir aux Hollandais ses exigences, et, par son alliance avec le roi d’Angleterre et divers princes allemands, il rendait l’indépendance des Néerlandais plus difficile et plus précaire. Aussi ne manquait-il pas en Hollande de gens qui se déclaraient les adversaires de la France et désiraient que, pour lui résister, les Provinces-Unies se rapprochassent de l’Espagne. Tandis que l’esprit monarchique semblait plus enraciné que jamais chez les Français, éblouis de la gloire et du génie de leur roi, l’esprit républicain pénétrait chaque jour davantage chez le peuple de la Néerlande. La liberté de penser s’y répandait graduellement, et, avec cette liberté, des habitudes d’indépendance individuelle. De là l’aversion des Hollandais pour ce despotisme politique dont Louis XIV était, à ce moment, la plus éclatante expression. Tandis qu’en France l’adulation pour le roi était arrivée aux dernières exagérations et qu’à le glorifier se consacraient presque exclusivement le savoir et le talent, dans les Pays-Bas on parlait sans grand respect des souverains et l’on affectait parfois à leur égard un langage qui paraissait