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feraient une étrange illusion si elles pensaient pouvoir, avec un établissement naval de ce genre, lutter pour l’empire des mers. Je crois donc que, si elles agissent ainsi, c’est qu’elles abandonnent toute ambition à cet égard.

Supposons l’une d’elles en guerre avec une grande puissance maritime, l’Angleterre, par exemple. J’ai indiqué plus haut qu’il serait facile à l’Angleterre d’armer autant et plus de torpilleurs et de canonnières que son adversaire, de manière à lui tenir tête et même à le dominer de ce chef, et d’y ajouter une quantité de grands et de moyens navires, cuirassés, croiseurs, avisos, armés de canons et de torpilles, capables de braver tous les mauvais temps d’hiver et le fort des moussons, de se livrer à ces croisières indéfinies, et d’occuper tous les océans, dont le pavillon de la partie adverse serait absolument chassé. Quant à vos flottilles renouvelées de l’antiquité, comme ces dernières, elles ne pourront pas étendre leur cercle d’action en dehors des détroits et des mers intérieures.

Je dis même que, malgré les torpilleurs et les canonnières qui les défendent, l’Angleterre pourra bloquer les ports de l’ennemi. Pendant qu’une partie de sa flotte croise dans les parages lointains pour intercepter le commerce, une escadre s’avance contre le littoral de son adversaire ; elle pourrait être composée ainsi qu’il suit : deux lignes de canonnières endentées pour tenir en échec les torpilleurs ennemis ; puis deux lignes de torpilleurs disposés de la même façon ; enfin l’escadre rangée sur une ligne de front. Cette flotte ainsi ordonnée peut venir insulter le port ou l’arsenal en question, en se tenant en dehors des lignes de torpilles dormantes ou mouillées, lesquelles, on le sait, ne peuvent exister que par des fonds assez petits et par conséquent près de la terre. Si les flottilles des bloqués se portent sur les assaillans, l’escadre tire sur elles avec ses gros calibres par-dessus sa propre flottille, et elle les tiendrait ainsi en respect. Si malgré cela les bloqués persistaient et à travers la canonnade se lançaient sur la flotte assaillante de manière à produire une mêlée, celle-ci tiendrait ferme, chaque canonnière et chaque torpilleur abordant une canonnière et un torpilleur ennemi pendant que l’escadre les soutiendrait de son artillerie, de ses gros et petits calibres, de ses hotchkiss et de ses mitrailleuses. Dire qu’on renoncera à combattre parce que les combats seront plus périlleux, non ; du moment qu’on sera en guerre, on combattra, et de toute façon ; quelles que soient l’arme et la méthode, il y aura toujours un vaincu et un vainqueur, et je ne vois pas ce qui empêcherait, dans le cas que j’expose, la flotte mixte assaillante d’être victorieuse. Du reste, le blocus pourrait se tenir le jour à trois ou quatre lieues au large et la nuit à dix ou quinze, et cela serait suffisant pour qu’il fût