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autres également. Celle de ces trois puissances à qui la Méditerranée serait interdite deviendrait bien malade : la France pourrait, de ce fait, perdre l’Afrique et ses grandes colonies ; l’Italie y verrait sa ruine ; l’Angleterre, privée du canal de Suez, serait mise en souffrance. Donc, la lutte sera terrible sur cette mer ; on y fera flèche de tout bois et nul ne peut dire : tel bâtiment sera utile, tel autre ne le sera pas. Tout arrive ; il peut arriver qu’à la suite d’événemens impossibles à prévoir, l’arme la plus méprisée aujourd’hui soit la plus utile demain.

Supposons maintenant une flottille de torpilleurs en présence d’une flottille de canonnières ennemies. Ici, la scène est différente ; le torpilleur ne pourra utiliser sa torpille, et la canonnière le criblera de projectiles, obus de là centimètres, hotchkiss et nordenfeld. Que pourront donc faire vos torpilleurs autonomes, sinon de profiter de leur supériorité de marche pour disparaître à l’horizon ? Mais cette solution sera sans doute loin de vous satisfaire ; vous vous résoudrez probablement à les reléguer à la défense de vos ports et vous n’enverrez à la mer que des avisos ou croiseurs-torpilleurs, qui, ajoutant à leurs torpilles des canons, des hotchkiss et des nordenfeld, canonneront les bâtimens dont le tirant d’eau est inférieur à 3 mètres et torpilleront les autres.

Voyez donc à quelle contradiction vous en arrivez en n’admettant que des flottilles de torpilleurs et de canonnières comme seuls élémens de la guerre future. Vous avez dit : « Le torpilleur autonome a tué le cuirassé, la torpille automobile a tué les escadres ; donc plus d’escadres, plus de vaisseaux : saluons l’avènement des grandes flottilles ; » et voilà que, par votre canonnière, vous tuez le torpilleur autonome à son tour, que par votre bateau-canon vous tuez la torpille automobile ; celle-ci n’a plus de pouvoir et, à la canonnière, vous les attribuez tous : vous la déclarez capable de réduire le cuirassé, d’imposer silence aux ouvrages inexpugnables qui défendent les ports, et de détruire ces derniers !

Comment donc sortir de là ? D’une manière très simple : quitter l’esprit de système et rester dans le domaine de la réalité, qui est celui de la pratique : compléter les flottes par les flottilles et réciproquement ; utiliser suivant les circonstances et suivant l’objet en vue les torpilleurs autonomes, les canonnières, les cuirassés et croiseurs armés de canons et de torpilles, en opposant à ceux de l’ennemi le genre de bâtiment qui sera le plus approprié à la lutte.

S’il est des nations qui, comme vous semblez le penser, rêvent de ramener le règne exclusif des grandes flottilles et renoncent à construire d’autres bâtimens de guerre, ces nations peuvent espérer se rendre peu vulnérables sur leurs propres côtes, mais elles se