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guerre de sillonner l’immensité de l’océan et d’en disputer la domination. La seule conséquence certaine aujourd’hui du régime nouveau en ce qui concerne la compétition de l’océan, c’est que les bâtimens de mer pourront ajouter au canon la torpille automobile et que la lutte maritime sera une affaire plus compliquée, plus délicate et plus terrible que par le passé.

En admettant cette puissance universelle que vous attribuez aux torpilleurs autonomes, qui empêchera cette même Angleterre d’écraser vos torpilleurs par la multitude des siens et puis, avec sa flotte, de régner sur l’océan ? Car, comme je l’ai expliqué, ce ne sera jamais avec des bateaux quels qu’ils soient, bateaux-torpilles, bateaux-canons, mais seulement avec des bâtimens capables de sillonner indéfiniment la mer et d’y vivre, qu’une nation pourra étendre son action loin de ses propres côtes, sur les plaines immenses de l’océan.

Si donc l’Angleterre continue de construire des cuirassés et des croiseurs, c’est qu’elle agit en vertu d’une raison plus sérieuse que le vain prétexte argué pour cacher ses desseins ; c’est qu’elle comprend qu’indépendamment des grandes puissances maritimes dont les relations normales ne paraissent pas de nature à faire naître de sitôt entre elles une guerre exterminatrice, il existe sur le globe beaucoup d’autres nations contre lesquelles nos cuirassés et nos croiseurs seront longtemps encore aussi nécessaires qu’efficaces. Ce n’est que par eux que nous pouvons exercer sur ces nations la pression nécessaire à la sauvegarde de notre influence au profit de nos intérêts politiques et commerciaux et rendre à notre marine du commerce, sur tous les points du globe, les services qu’elle est en droit d’attendre de nous. Réduisez les cuirassés à un type moyen convenable : que le plus grand soit, par exemple, comme notre Triomphante ; laissez de côté les canons-monstres : que vos calibres usuels soient de 14, de 15 et de 16 centimètres, avec un calibre supérieur pour les canons de chasse, de retraite et de tourelle de vos plus grands bâtimens ; construisez ensuite autant de bateaux-torpilles et de bateaux-canons que vous voudrez ; ayez une flottille, nous en avons toujours eu, elle vous sera souvent utile ; mais la flotte française ne vous le sera pas moins, ne la supprimez pas : vous deviendriez incapables de vous faire respecter par la puissance la plus infime, alors qu’une simple démonstration de votre flotte, même la seule pensée de son existence suffira pour amener cette puissance à la raison. Il y aura longtemps encore bien des circonstances où de grands bâtimens de guerre vous seront indispensables soit par l’intervention ou la menace de leurs canons, soit par le concours de leurs équipages constitués en corps de débarquement pour opérer un coup de main. Supprimez-les, vous vous enlevez