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d’éviter ces parages en faisant de longs détours dans l’océan, mais il en est qui ne le pourront en aucune façon. Comment l’Italie, par exemple, ferait-elle pour dispenser ses bâtimens de passer à travers la Méditerranée ? Ils seront condamnés à ne jamais sortir des ports ou à braver la rencontre des torpilleurs dans des parages où ceux-ci pourraient les attaquer. Sans doute, mais le remède à cette situation n’est pas difficile à trouver : il suffira d’armer tous les bâtimens de commerce expédiés à la mer, en temps de guerre, de deux bons canons de 14 centimètres, ce qui ne sera pas au-dessus de leurs moyens, et de les faire convoyer par de petits bâtimens de flottilles armés des mêmes canons, plus de hotclikiss et de nordenfeld, et ne calant pas plus de 2 mètres, et par cela même invulnérables par la torpille automobile.

Du reste, j’ai peine à croire que les nations européennes soient à la fois assez barbares et assez dénuées de raison pour envoyer contre les navires de commerce des torpilleurs qui ne pourront que les couler, au lieu de les intercepter par des croiseurs qui les amarineront au grand avantage des capteurs et de leur nation. Une manière d’agir si absurde et si atroce serait-elle inspirée par le vain espoir de dégoûter les peuples de la guerre en en accroissant les maux outre mesure ? Ce serait d’une simplicité aussi naïve que celle de l’homme primitif qui lâchait la proie pour l’ombre.

Torpillez les cuirassés, torpillez les croiseurs, torpillez les bâtimens de guerre ; cela sera sage, prudent et logique en même temps, car là vous avez affaire à des ennemis qui vous combattent. La lutte entre bâtimens de guerre peut être chaude, le succès incertain et sans profit matériel ; le vainqueur peut périr aussi bien que le vaincu, il peut au moins avoir beaucoup souffert. En envoyant contre eux de simples torpilleurs, vous hasardez peu de chose et vous pouvez causer un grand dommage à l’ennemi. Mais vous savez bien que les navires du commerce n’engageront aucune lutte contre vos croiseurs, qui les amarineront sans courir aucun risque et sans difficulté, et que leur destruction systématique est un dommage pour vous-même.

En résumé, tout bâtiment au mouillage, non protégé par une jetée ou des obstacles matériels efficaces, qui se trouverait à portée de l’attaque des torpilleurs, aurait tout à en redouter. Aussitôt qu’il en serait menacé, il ne lui resterait d’autre ressource que d’appareiller, de prendre chasse vers la haute mer, de déjouer, par la rapidité et la sagacité de ses manœuvres, l’attaque de ses minuscules ennemis en les criblant méthodiquement de projectiles. Ce que nous disons des flottes ou des bâtimens aux mouillages s’applique à ceux qui, s’approchant des côtes ennemies, pourraient se laisser surprendre-par l’attaque des torpilleurs.