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d’invisibles torpilleurs, les chances sont passées du côté de la défense, et l’attaque ne réussira qu’entourée de grandes précautions et secondée par la fortune ; sans cela, comme un rocher qui, miné par sa base, s’abîme tout à coup dans les flots, on pourra voir la flotte assaillante et l’armée expéditionnaire disparaître de la surface de la mer avant d’avoir le temps de jeter l’ancre, de prendre terre ou tirer un seul coup de canon.

Voilà ce que peuvent les torpilleurs ; c’est beaucoup, c’est magnifique, mais ne leur en demandez pas davantage. Laissons-les à leur rôle de gardes-côtes, sans néanmoins prétendre fermer les hasards de l’avenir à leurs antagonistes. Ainsi que l’offre et la demande s’attirent et s’entretiennent l’une par l’autre dans le monde industriel, il peut en être de même de l’art de la défense et de celui de l’attaque dans le monde militaire. La source des inventions, des perfectionnemens n’est pas tarie, l’esprit humain n’est pas épuisé ; la nécessité, féconde créatrice, saura toujours, avec le temps, à toute force nouvelle opposer une force contraire, et le génie de la guerre n’a pas éteint sa torche après avoir produit le torpilleur, pas plus qu’il n’a donné à celui-ci le trident de Neptune.


III

Continuons l’examen des propositions que j’ai émises. On ne se contente pas d’attribuer aux torpilleurs autonomes la royauté des mers territoriales, on veut encore en faire les dominateurs de l’océan ; on dit qu’avec 60 canonnières et 300 torpilleurs, nous serions irrésistibles dans la Méditerranée et invincibles sur l’Océan. Dans la Méditerranée, passe encore, mais qu’est-ce que l’Océan vient faire là ? Que nos torpilleurs gardent nos côtes ; qu’ils assaillent les flottes qui viennent s’y montrer dans un dessein hostile, qu’ils attaquent les ennemis qui passent à portée ; qu’on les envoie désoler les côtes d’un adversaire voisin, détruire ses bâti mens mouillés dans des rades accessibles ou ceux qui entrent dans ses ports et en sortent ; fort bien ; mais on veut plus encore, on veut lancer des flottilles de torpilleurs sur le sein des mers à la poursuite des flottes ennemies. On dit : « Pour le prix d’un cuirassé on aurait au moins 60 torpilleurs ; il n’y a pas d’escadre qui soit en mesure de résister à l’attaque d’une pareille flottille, même en plein jour et sans la moindre surprise. » C’est possible, à la condition que le plus difficile soit fait, que la poursuite ait pu s’accomplir, que la navigation plus ou moins prolongée qui doit amener cette grande flottille en présence de l’escadre qu’elle va combattre ait pu s’effectuer.

Supposez une escadre ennemie venant, en bel ordre, insulter la