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serait bientôt fait s’il ne s’agissait que de voir de loin, et sans en être aperçu soi-même, un paquebot qui passe et le pavillon qu’il porte ; mais il s’agit de bien autre chose : il s’agit de s’assurer de sa nationalité, car il ne sera pas plus permis de lancer une torpille au risque de frapper un navire ami ou neutre, qu’il n’a été de mise, jusqu’ici, de lui envoyer des coups de canon, au hasard de se mettre en guerre avec sa nation et de faire entrer un nouvel ennemi dans la lutte.

Écrivant pour les personnes étrangères au service de la marine, je dois entrer dans les explications nécessaires. S’il n’y a pas de bâtimens en vue, il est probable que le paquebot n’aura pas de pavillon ; c’est l’usage quand on se voit seul sur l’immensité de l’océan, et dans ce cas, le torpilleur ne pourra se faire aucune idée de sa nationalité ; si le paquebot porte un pavillon, ce sera certainement celui d’un neutre, et si le torpilleur se contente de cette indication, il ne trouvera jamais de bâtimens ennemis. En temps de guerre, le pavillon des belligérans disparaît de la mer, pour ainsi dire ; il ne s’y montre qu’au moment du combat ou lorsqu’ayant par ses succès chassé l’ennemi de partout, on ne croit plus avoir rien à en craindre.

Sur mer, la ruse de guerre la plus générale, la plus usuelle, la plus permise aux bâtimens des nations belligérantes, consiste à faire disparaître, autant que possible, toute apparence extérieure qui pourrait, de loin, donner des indices sur leur nationalité, et la première précaution à prendre pour cela est de se couvrir d’un autre pavillon que le sien propre. Les bâtimens du commerce espèrent par là tromper l’ennemi et lui échapper ; les bâtimens de guerre cherchent à le surprendre ; les uns et les autres veulent éviter que les navires neutres rencontrés puissent, intentionnellement ou non, faire savoir aux ennemis leur présence dans tels ou tels parages et mettre ces ennemis au courant de leurs mouvemens.

Les lois de la guerre défendent de commettre aucun acte d’hostilité sous d’autres couleurs que sous les couleurs de sa nation, mais elles permettent d’arborer un pavillon quelconque et de le garder battant jusqu’au moment d’engager le combat, afin de tenir l’ennemi dans l’indécision le plus longtemps possible. Il en résulte pour le torpilleur, comme pour tout autre bâtiment de guerre, l’obligation de s’approcher assez des bâtimens qu’il rencontre à la mer pour s’assurer de leur nationalité avant de les attaquer. Si l’on se trouve en présence d’un bâtiment de guerre, on lui fait les signaux de reconnaissance convenus d’avance ; si le bâtiment en vue répond convenablement à vos signaux, il est de votre nation et, l’un et l’autre, vous remplacez aussitôt vos pavillons d’emprunt par les couleurs nationales ; si le bâtiment de guerre rencontré est neutre,