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traduit le titre que lui donne la relation égyptienne ; c’était sans doute l’annaliste officiel chargé de transmettre à la postérité le récit des exploits de son souverain. Quinze ans plus tard, un successeur de Khalepsar rédige la minute du traité qui devait établir une paix durable entre Khitisar et Ramsès. Les clauses en avaient été discutées et arrêtées entre les représentans des deux souverains ; une ambassade hétéenne vient en Égypte le faire ratifier par Ramsès et elle lui en offre un exemplaire gravé sur une plaque d’argent ; dans la copie qui existe à Karnak, cette plaque est figurée sous la forme d’une stèle oblongue avec anneau à sa partie supérieure. Il n’est pas dit en termes exprès, mais il résulte clairement de tout le contexte que le projet de convention soumis à Ramsès par les envoyés du roi de Cadech était écrit dans la langue des Hétéens et avec leurs caractères. Voici qui indique bien que ce document, œuvre d’une main étrangère, offrait un aspect tout particulier, qui avait frappé les Égyptiens. À la suite des stipulations que nous avons résumées, il y avait, dans la rédaction égyptienne, une courte description des images qui ornaient l’instrument diplomatique expédié de Cadech ; toute cette partie de l’inscription a beaucoup souffert ; on y fit pourtant encore ces mots : « Au sommet de la tablette d’argent, il y a d’abord, d’un côté, une figure à la ressemblance de Soutekh, qui tient embrassée la figure du grand prince de Khiti. » Quel coup de partie ce serait de retrouver un jour en Égypte, dans ce sol qui conserve tout ce que n’a pas détruit la main violente et brutale de l’homme, la feuille même de métal où le burin du scribe hétéen avait gravé, au-dessous des images de son roi et de son dieu, les clauses de l’alliance projetée ! Les différences ne pourraient être que dans les protocoles, qu’il serait facile de distinguer et d’isoler ; quant aux dispositions du traité, elles seraient pareilles dans les deux documens et s’y suivraient dans le même ordre. On aurait ainsi une véritable inscription bilingue, où le texte égyptien jouerait le rôle que le texte grec joue sur la fameuse pierre de Rosette.

C’est peut-être trop demander, et cependant n’a-t-on pas recueilli en Assyrie, dans les fondations du palais de Sargon, des lames d’or et d’argent, aujourd’hui déposées au Louvre, sur lesquelles a été gravée, en caractères très fins, une longue formule de consécration[1] ? Si l’Égypte doit nous faire un jour cette surprise, la justice voudrait que M. Sayce pût en profiter ; il mériterait d’être le Champollion de la langue et de l’écriture hétéennes. Déjà il a fait les premiers pas dans le déchiffrement ; c’est grâce à une inscription bilingue ; mais celle-ci est trop courte pour permettre d’aller bien loin ; en voici la curieuse histoire.

  1. Place, Ninive et l’Assyrie, t. II, p. 303-306, et t. III, pl. 77.