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il s’engage avec une intrépidité qui ne craint jamais de se compromettre ; à ce titre, il rappelle, avec un fond plus solide d’études premières, un savant que nous avons perdu en 1881, M. de Saulcy. C’est un érudit d’avant-garde. Supposé que sa destinée l’eût jeté dans l’armée, c’eût été un incomparable général de cavalerie ; en campagne, il aurait poussé des pointes aventureuses sur le territoire ennemi ; nul n’aurait mieux conduit un de ces raids qui ont fait la réputation de Sherman en Amérique, dans la guerre de sécession. M. Sayce n’aime pas à s’attarder dans de longs travaux préparatoires ; il n’est pas homme à s’enfermer, pendant plusieurs années de suite, dans une étude unique ; trop de problèmes l’appellent et l’intéressent ; plus ils sont difficiles et plus ils l’attirent ; mais il veut aller vite ; d’un coup d’œil rapide, il reconnaît le terrain où il se propose d’opérer, et, bientôt après, il l’a déjà traversé en plusieurs sens, il en a atteint les limites. Prendre ainsi les places d’assaut, à la course, c’est risquer de n’être pas suivi par le gros de l’armée, de ne pas pouvoir garder toutes les positions que l’on a occupées ; il faut parfois battre en retraite. M. Sayce n’a pas toujours évité ces accidens ; mais son ardeur n’en a pas été diminuée. Il avait commencé par la philologie sémitique, par l’assyriologie, où il laissera sa trace ; en même temps que notre cher et regretté Stanislas Guyard, il s’occupait à percer le mystère de la langue encore inconnue que cachent les textes cunéiformes gravés sur les rochers de Van en Arménie ; déjà des résultats importans avaient été obtenus quand M. Sayce fut entraîné vers d’autres recherches. Il est d’une santé délicate, qu’avait encore ébranlée l’obstination au travail ; il n’ouvre donc son cours qu’au printemps ; il va passer les hivers au soleil soit dans le Midi de la France et en Italie, soit surtout en Égypte et en Syrie, en Asie-Mineure et en Grèce. Pour un curieux, est-il meilleur moyen de compléter son éducation en contrôlant, par la visite des lieux et de monumens, les idées que les livres lui ont suggérées ? M. Sayce profita de ses loisirs et de ses courses pour voir, tout autour du bassin oriental de la Méditerranée, ce qui restait des foyers principaux de la civilisation primitive ; il fut des premiers à étudier sur place les résultats de toutes ces fouilles qui, dans ces dernières années, ont tant ajouté au peu que nous savions de la période de transition qui relie l’âge grec ou classique aux âges lointains où se sont organisées et outillées les premières sociétés policées, celles qui ont eu pour capitales Memphis et Thèbes, Babylone et Ninive. Les découvertes de M. Lang et CesnoIa l’attirèrent à Cypre et celles des explorateurs anglais en Palestine et en Syrie ; M. Schliemann lui fit les honneurs d’Hssarlik et de tous ses chantiers de la Troade, de Mycènes et d’Orchomène ; il fut ainsi conduit à