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déclarâmes, sur la parole d’un consul anglais, que Subhi ne ressemblait pas aux autres pachas, qu’il paierait les pierres ce qu’elles valaient et plus qu’elles ne valaient, qu’il les paierait comptant. D’ailleurs, ajoutions-nous, quiconque toucherait maintenant aux inscriptions, devenues la propriété du souverain, s’exposerait aux châtimens les plus graves. C’est ainsi que nous faisions vibrer à la fois toutes les cordes ; peut-être la peur arrêterait-elle ceux que ne toucherait pas assez l’espoir de la récompense promise.

« Nous croyions avoir au moins gagné ainsi quelques heures ; pour plus de sûreté nous fîmes intervenir le gouverneur. Nous lui exposâmes la situation ; aussitôt il chargea le pacha militaire qui l’accompagnait de veiller sur les inscriptions ; celui-ci envoya quelques soldats monter la garde auprès de chacune des pierres ; mais si la foule s’était soulevée, ces quelques hommes auraient-ils tenu bon contre l’émeute, à laquelle ne manquerait pas de se joindre la force publique locale, les gardiens du bazar ? La nuit se passa pour nous dans l’inquiétude et sans sommeil ; mais avec quelle joie nous apprîmes, le matin, qu’elle avait été tranquille, qu’aucun attentat n’avait été commis ni même tenté !

« Il ne fallait pas laisser les mutins se rassurer et se concerter. Dès les premières heures du jour, le vali manda les propriétaires au palais ; il leur compta des sommes qui varièrent de 3 à 15 napoléons. Aussitôt après, commença l’opération de l’enlèvement et du transport des pierres ; elle fut effectuée par toute une armée, par des centaines d’hommes qui criaient en travaillant ; ce fut dans la ville, jusqu’au coucher du soleil, un bruit assourdissant. Deux des blocs étaient engagés dans la muraille d’une maison habitée ; un d’eux était si gros que, pour le déposer et le conduire jusqu’au sérail, il fallut cinquante hommes et quatre bœufs. Au moment où, du haut des minarets, les muezzins appelaient les fidèles à la prière du soir, la dernière pierre, à notre grande joie, arrivait au port.

« Le déplacement de ces mystérieuses reliques du passé fit à Hamath une sensation profonde. Si les chrétiens indigènes se sentaient un peu rassurés en voyant un consul et un missionnaire anglais, hôtes du pacha, l’accompagner aux bains et dans les mosquées, ce spectacle était odieux au fanatisme musulman ; à plus forte raison, s’indignait-on que des maisons fussent démolies, que la ville fût bouleversée pour satisfaire la vaine curiosité de ces ghiaours. Le ciel même semblait se mettre de la partie et condamner ces nouveautés. La nuit qui suivit le coup d’état de Subhi, il y eut une pluie d’étoiles filantes ; tous ces traits de feu qui sillonnaient l’espace, n’étaient-ce point des marques de la colère divine, des avertissemens adressés à la lâche cité qui s’était laissé