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des étrangers, qui durent décamper au plus vite. Le consul s’entendit avec un barbouilleur arabe qu’il appelle, peut-être un peu pompeusement, un peintre indigène ; celui-ci s’appliqua de son mieux à dessiner des fac-similés de tous ces textes, qu’il expédia à Damas, et en 1871, M. Johnson publiait la copie d’une de ces inscriptions, copie très imparfaite, mais qui n’en excita pas moins une vive curiosité[1].

Dès l’année suivante, la puissante société anglaise qui est connue sous le nom de Palestine Exploration Fund envoyait à Hamath un des hommes qui connaissaient le mieux ce pays et ses habitans, Drake, l’auteur du curieux livre intitulé : la Syrie inexplorée[2]. Drake réussit à photographier et à estamper le plus important de ces textes ; mais le bruit s’en répandit en ville, et, devant l’émeute qui grondait, il dut renoncer à en faire autant pour les autres pierres. Le capitaine Burton, alors consul d’Angleterre à Damas, fit une nouvelle tentative ; il réussit à voir tous les monumens et à en relever avec précision la place et les dimensions ; mais il fut obligé de s’en tenir à des calques faits par un chrétien de cette ville et, en les publiant dans la Syrie inexplorée, il avertissait que, par endroits, la fantaisie du copiste s’était donné libre carrière. Burton avait voulu acheter une des pierres ; on lui en avait demandé 2,000 francs. Il ne s’était pas décidé ; quelque temps après, à de nouvelles offres, les propriétaires répondaient en annonçant des prétentions encore plus exagérées. La spéculation s’en mêlait ; des brocanteurs levantins se portaient acquéreurs avec l’idée de revendre ensuite aux musées de l’Europe. On pouvait craindre que les convoitises ainsi éveillées et surexcitées ne fussent fatales à ces monumens que les siècles avaient épargnés. Ne venait-on pas de voir, à l’autre bout de la Syrie, les Arabes du pays de Moab briser, en se la disputant, la fameuse stèle de Mésa ? Peut-être encore quelques violens prendraient-ils le parti de marteler ces pierres maudites, de les réduire en poussière ; ne serait-ce pas le meilleur moyen de désappointer les Frenghis, ces infidèles que Dieu confonde I C’est ce qui est arrivé à Alep ; en 1872, Drake et Smith y avaient copié une belle inscription du même type, gravée sur une dalle de basalte ; l’année suivante, au moment où l’on s’occupait de tout disposer pour en obtenir un moulage, on apprit que la pierre n’existait plus ; elle avait été détruite par les musulmans.

Il y avait tout lieu de redouter, à Hamath, quelque accident de ce genre ; l’opinion y était très opposée à toute mesure qui aurait

  1. First quarterly Statement of the American Palestine exploration Society.
  2. Unexplored Syria, 2 vol. in-8o, Londres.