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malgré toutes les primes offertes à l’apostasie, on n’avait obtenu que quatre mille cinquante-cinq conversions. C’étaient les protestans qui passaient en masse à la religion romaine, vaincus par cette merveilleuse puissance d’assimilation qui est le don des Celtes et dont les Irlandaises, vertueuses et passionnées, étaient les agens irrésistibles. Ce sont les historiens protestans qui leur rendent cet hommage et je ne fais que l’enregistrer. Moins de quatre-vingts ans après la promulgation des lois pénales qui devaient les anéantir, le nombre des catholiques avait quadruplé ; de huit cent mille il s’était élevé à trois millions.

Nulle part le catholicisme n’a jeté des racines plus vivaces qu’en Irlande ; nulle part il n’a fleuri avec plus de grâce. La poésie de ses croyances a façonné le génie national ; le délicieux parfum de ses légendes a comme embaumé l’imagination populaire : en sorte que l’Irlande, de toute nécessité, doit être catholique ou ne pas être. Quiconque tient une plume libre entre les doigts et n’écrit pas pour aduler la canaille imbécile dira que le courage et la vertu du clergé irlandais sont un des beaux spectacles de l’histoire. En deux cent cinquante ans, M. Froude, qui a compulsé (avec tant de passion, mais avec tant de conscience ! ) les archives criminelles de Dublin, n’a trouvé qu’un seul prêtre accusé d’avoir manqué à la chasteté. Quant à l’héroïque obstination avec laquelle ils résistèrent à la proscription, un chiffre suffira. Au moment où les lois étaient dans toute leur sévérité, il y avait en Irlande cinq fois plus de prêtres catholiques que de clergymen protestans. Avec des informers pour limiers et des habits-rouges pour piqueurs, les gentilshommes chassaient au prêtre dans les bogs et les montagnes de l’intérieur. Traqués comme des bêtes fauves, fuyant d’asile en asile, les prêtres traversaient le pays semblables à des ombres, partout invisibles, partout présens ; jamais ils ne manquaient d’apparaître au chevet des mourans. Mystérieuse filiation d’une église souterraine comme l’avait été la primitive église ! Il y eut constamment des évêques sans qu’on sût qui ils étaient ni où ils étaient. Pendant que le primat protestant étalait à Dublin le faste païen et princier de ses réceptions, vivait dans une ferme isolée un personnage singulier et vénérable. Le soir, des hommes venus de loin, — car leurs souliers étaient poudreux, — se glissaient dans la maison, s’inclinaient sur la main de cet inconnu et baisaient l’anneau passé à son doigt. On l’appelait M. Ennis. Son vrai nom était Bernard Mac-Mahon, et il était le primat catholique de l’Irlande.

Dès 1750, nous trouvons les vice-rois en relations avec les prélats, les consultant, mettant à profit leur expérience et leur influence. En 1715 et en 1745, lors des grandes levées de boucliers jacobites, les papistes ne bougèrent pas : instruits par le passé, ils