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agir. On lui propose de mettre des troupes à sa disposition, et il refuse. Vers le soir, l’autorité se décide à l’action. Des charges de cavalerie nettoient les rues, le parlement est évacué ; les émeutiers disparaissent, laissant seize des leurs sur le terrain. C’est la première des journées révolutionnaires modernes, l’entrée du mob sur la scène politique.

Un événement tout différent vient, l’année suivante, modifier la situation. Un prince de vingt-trois ans monte sur le trône, plein de ces idées de gouvernement personnel, très naturelles quand on s’appelle Louis XIV, mais très ridicules lorsqu’on ne doit être que George III. Sa mère lui avait souvent répété d’un ton impérieux : George, be a king. Et il s’efforçait d’être « un roi » pour faire plaisir à sa mère ; il était despote par obéissance. Le clergé et la magistrature devaient être épurés, comme le ministère. Plus de prélats frivoles, de juges complaisans, de politiciens véreux. Surtout, plus de sinécures, plus de pensions. Le roi, quand il fut vraiment hors de pages, c’est-à-dire débarrassé de Chatham et des Grenville, remit ses vues par écrit au vice-roi d’Irlande. Elles étaient dignes d’un collégien qui a étudié l’art de régner dans Cornélius Nepos, et se terminaient par cette recommandation comique qui n’eût pas laissé d’être embarrassante si elle avait été prise au sérieux : « Si l’on vous donne, de ma part, des ordres contraires à ces instructions, n’obéissez pas ! »

Le premier point du programme royal était la destruction de l’influence parlementaire des grandes familles, qui, depuis l’avènement des Brunswick, tenaient la royauté en tutelle. L’émancipation de la couronne aurait profité au pays si elle avait été tentée au moyen d’une réforme parlementaire qui eût appelé à la vie politique des classes nombreuses de citoyens et fait de la représentation des intérêts et des opinions une vérité. Mais pareille idée ne pouvait germer dans le cerveau étroit de George III ou de son mentor, lord Bute. On ne sut que substituer une corruption à une autre ; on acheta les votes isolément au lieu de les acheter en bloc. Il fallut augmenter les sinécures et les pensions qu’on s’était juré de supprimer.

En Irlande, la besogne fut particulièrement difficile et onéreuse. Nous n’entrerons pas dans les mesquins et innombrables incidens de cette lutte entre la royauté et l’aristocratie. L’Irlande en paya les frais, mais elle en recueillit les bénéfices. En effet, même dans une société politique dont la corruption est le grand ressort, tout ne peut pas se faire par la corruption. Les deux partis flattaient tour à tour l’opinion. L’aristocratie, pour se faire un programme d’attaque ou de résistance, prenait en main les griefs de l’Irlande, et