Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’imagine que M. Froude doit connaître cette église, puisqu’il en a fait partie et s’en est évadé. Au XVIIIe siècle, parmi les membres de l’épiscopat, les uns étaient des rationalistes érudits, les autres des athées pratiques. Quels exemples ? Demandez à l’archevêque Bolton. « Un évêque irlandais, selon lui, a cinq choses à faire en ce monde : manger, boire, s’engraisser, s’enrichir et mourir. » Il faut à ces prélats un yacht rien que pour transporter leurs chevaux et leurs carrosses de Holyhead à Dublin. Ils vivent sur leurs terres, mènent une vie de grands seigneurs, occupés de chasse, de courses, de galanterie. L’un d’eux a été nommé évêque d’emblée pour son talent d’aquarelliste, tandis que Berkeley attend longtemps et que Swift attend toujours. Un autre, le vieux Fitzgerald, à demi tombé en enfance, épouse à près de quatre-vingts ans une jeune fille, et lui laisse gouverner follement son diocèse. La plupart de ces hauts dignitaires habitent Londres et ne paraissent que de loin en loin dans leurs résidences épiscopales. Les simples recteurs cumulent sept ou huit paroisses ; ils en perçoivent les bénéfices et envoient un suppléant famélique garder les âmes à leur place. Parfois même, on s’affranchit de ce soin et l’église reste close. En revanche, les paysans voient paraître, à des dates fixes, le percepteur des redevances cléricales, le proctor, sinistre oiseau de proie, qui prend la dîme du blé, la dîme des pommes de terre et impose jusqu’à la fange des tourbières dont l’Irlandais alimente son misérable foyer. En 1694, une enquête ecclésiastique faite à Down établit qu’en vingt ans l’évêque Hackett n’a point mis le pied dans son diocèse, qu’il a délégué son autorité à des femmes, vendu des bénéfices à des catholiques. De son côté, l’archidiacre Malhews a falsifié les registres. Un troisième est convaincu d’ivrognerie scandaleuse, un quatrième d’adultère public. Le très révérend Stone occupa quinze ans le siège primatial d’Armagh. Je renonce à faire connaître les goûts bizarres de ce prélat. Le latin n’y suffirait pas : il faudrait parler grec.

Je sais qu’il y a des exceptions. Berkeley, le vertueux évêque de Cloyne, lorsqu’il n’est pas occupé à écrire ces belles absurdités philosophiques qui ont fait sa gloire, étudie, comme pourrait le faire un rédacteur de cette Revue, les besoins sociaux, économiques et agricoles de son diocèse. Mais, pour un Berkeley, combien de Hacketts ?

Ce clergé, qui n’avait pas, comme on le voit, l’excuse du fanatisme, est le véritable auteur des lois pénales ; car c’est lui qui a dirigé la politique de l’Irlande et mené le parlement depuis la bataille de la Boyne jusque vers le milieu du XVIIIe siècle. Mais, de 1730 à 1750, les familles puissantes, stimulées par l’exemple de la pairie anglaise, réclamèrent leur part de pouvoir et de corruption, et peu à peu évincèrent les évêques. Il est utile d’entrer dans quelques détails sur la composition et le fonctionnement de ce misérable parlement.