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M. le président du conseil peut-il du moins se flatter de suffire à tout avec cette union républicaine, qui est l’objet de toutes ses tactiques et le thème invariable de ses discours ? A-t-il même un moyen de la maintenir ? Oh ! sans doute, il n’a pas ménagé l’autre jour les appels pathétiques aux républicains modérés du sénat, qu’il espérait encore entraîner à sa suite. Il n’a rien négligé pour les rassurer, pour relever leur rôle et leur importance. Il leur a déclaré qu’ils avaient été les principaux fondateurs et les garans de la république, qu’ils l’avaient cautionnée devant le pays, que sans eux elle n’aurait pas été peut-être acceptée. Et comment les récompense-t-il de ce qu’ils ont fait ? Comment entend-il les rallier à cette union républicaine, dont il leur demande de ne pas se séparer ? Le moyen est vraiment bien simple et est même un peu monotone. Toutes les fois que les radicaux proposent ou imposent quelque violence nouvelle, M. de Freycinet arrive devant le sénat pour le supplier de réfléchir, de ne pas provoquer de conflit, de peser les conséquences d’un vote qui pourrait le compromettre. Ce qu’il appelle l’union républicaine, c’est la soumission invariable des modérés aux violens. M. de Freycinet a pu réussir l’autre jour auprès de quelques convictions faciles ; il n’a pas triomphé aussi aisément des hommes qui, avec leur rapporteur, M. Bérenger, lui ont refusé jusqu’au bout des mesures qui « méconnaissent le droit, renversent l’ordre des pouvoirs et ne sont que des condamnations prononcées sans justice par un pouvoir incompétent. » De sorte que M. le président du conseil, en rompant violemment avec les conservateurs a également contre lui les républicains modérés dans cette triste campagne. Que lui reste-t-il donc ? Il s’est fait plus que jamais le prisonnier des radicaux, qui gouvernent sous son nom et le protègent tant qu’il obéit à leur volonté. Il est engagé aujourd’hui par l’acte de violence dont il est le complice, — il faut qu’il marche ou il sera bientôt abandonné !

Voilà la situation intérieure que M. le président du conseil a créée et il ne s’est pas moins mépris sur la portée extérieure de la mesure à laquelle il a prêté son nom. Les républicains qui soutiennent le ministère sont certainement de grands politiques qui ont une diplomatie particulière à leur usage ; ils ont leur manière d’entendre les relations de la France. Que leur parle-t-on des jugemens du monde ? Ce qu’ils font ne regarde personne, ils le déclarent fièrement. Les étrangers n’ont aucun droit de se mêler de leurs actions. Ils persécutent des croyances, ils amnistient des anarchistes cosmopolites, ils expulsent aujourd’hui des princes, — ils sont libres, ils n’ont pas à s’inquiéter de l’opinion des gouvernemens et des nations. Malheureusement ces habiles politiques ne changeront pas la condition de la vie des peuples ; ils ne peuvent pas faire que la France ne vive, en Europe, au milieu de toute sorte de puissances monarchiques, avec lesquelles elle a des