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qu’il en était de certaines situations comme de ces droits qui, au dire du cardinal de Retz, ne s’accordent jamais mieux que dans le silence. Ils ont tenu à rompre le silence sur la situation des princes en France, ils ont voulu faire du bruit. Ils ont dit tout haut, par leur loi, à M. le Comte de Paris : Vous êtes le chef de la maison royale, ne vous en défendez plus ! M. le président du conseil lui-même n’a rien négligé dans ses discours pour désigner le prince, et il lui a du reste reconnu le droit de prétendre à régner, — à la condition toutefois qu’il allât représenter ce droit à l’étranger. Eh bien ! on a contraint M. le Comte de Paris à passer la frontière ; à quoi cet acte de violence peut-il servir sérieusement ? S’il y avait, comme on le dit, dans le nom seul, dans la qualité, dans les traditions de M. le Comte de Paris une conspiration permanente, en quoi cette conspiration est-elle moins dangereuse aujourd’hui ? On n’a pas diminué le prince qu’on a frappé. On l’a grandi en le désignant à l’opinion de la France, selon le mot juste et pénétrant de M. Jules Simon : on a cru servir la république, la mettre en sûreté, on s’est exposé à la compromettre de toute façon, et par les conséquences intérieures et par le retentissement extérieur de cette malencontreuse campagne de la proscription des princes.

Qu’en est-il, en effet ? M. le président du conseil, qui a l’ambition d’être le politique avisé du moment et peut-être de demain, ne s’est point rendu compte de la portée de l’acte auquel il s’est prêté. Il a tout bonnement contribué à aggraver, à envenimer une situation déjà difficile et périlleuse. Jusqu’ici du moins, au milieu des divisions, des luttes ardentes des partis, il restait des points communs, une certaine facilité de rapports, et il pouvait y avoir quelques illusions sur la marche de nos affaires. Ou se disait que le gouvernement pouvait céder à des entraînemens dangereux, qu’il avait déjà commis bien des fautes, mais que rien n’était perdu, que tout pouvait être réparé avec un peu de raison et de prévoyance, au besoin avec le concours des opinions modérées, qui ne refuseraient certainement pas leur appui à des ministères moins livrés aux passions et aux intérêts de parti. Les masses conservatrices, qui ont jeté plus de trois millions de suffrages dans le scrutin du 4 octobre, méritaient apparemment qu’on voulût bien s’occuper de leurs griefs et de leurs vœux. Il est certain que le mouvement d’opinion qui s’est manifesté aux élections dernières était un avertissement qui devait être écouté. Par la politique qu’il laisse suivre à ses collègues, qu’il aggrave lui-même aujourd’hui, M. le président du conseil ne réussit et ne peut réussir qu’à exaspérer les conflits, à irriter les sentimens conservateurs, à démontrer l’impossibilité des conciliations que le pays eût peut-être désirées, à pousser toutes les luttes à l’extrême. S’il se proposait de provoquer d’irréparables scissions, de transformer tous les conservateurs en irréconciliables, il ne procéderait pas autrement.