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nous avoir donné « une part plus considérable d’inédit, » qui ne connaissent pas eux-mêmes la bibliographie du sujet qu’il a voulu traiter. Les autres savent que le difficile, quand il s’agit de Voltaire ou de Rousseau, n’est pas de donner ou de trouver de l’inédit, mais de ne pas s’égarer ou se perdre parmi les imprimés, — puisque aussi bien M. Gaston Maugras lui-même ne les a pas tous connus ou discutés. Et c’est pourquoi le meilleur service que l’on puisse nous rendre, comme le plus urgent, c’est de mettre un peu d’ordre dans ces imprimas, de les lire au besoin pour l’instruction de ceux qui n’en ont pas le temps, d’en faire le triage, le discernement, la critique surtout, et de les utiliser pour la composition de l’œuvre dont ils ne sont que les matériaux. L’usage naturel des moellons et leur cause finale n’est pas d’encombrer la voie publique, mais de servir tôt ou tard à bâtir des maisons.

Le lecteur serait étonné si je dressais ici la liste de ce que nous avons de travaux sur l’histoire de la vie et des œuvres de Jean-Jacques Rousseau. Les Genevois en particulier, — pour qui Rousseau n’est pas seulement ce qu’il peut être pour nous, mais quelque chose de plus : un compatriote, le grand homme, et leur plus illustre écrivain, — ne se lassent pas de commenter son œuvre, et de débrouiller, d’éclaircir, de préparer pour celui qui voudra l’écrire, l’histoire de sa vie. Les Neuchatelois n’y mettent guère moins d’ardeur. En France enfin, Rousseau, de son vivant, et même depuis sa mort, a joué un trop grand rôle, trop occupé le public de son nom, exercé une trop grande influence pour que nous ne soyons pas passionnément curieux de tout ce qui le touche. Nous sommes sans doute curieux aussi, pour les mêmes raisons, de tout ce qui regarde Voltaire, et les travaux relatifs à l’histoire de ses œuvres et de sa vie ne manquent pas non plus, mais, si je n’oserais répondre qu’ils fussent moins nombreux, toujours sont-ils moins épars, moins disséminés, et, sans être définitifs, d’un caractère pourtant moins provisoire. On a d’ailleurs une excellente édition et de bonnes biographies de Voltaire : on n’en a pas encore de Rousseau. La meilleure édition n’en vaut rien, c’est celle de Musset-Pathay ; et, quant aux biographies, ni les deux volumes de Saint-Marc Girardin (1853), ni la lourde compilation de M. Brockerhoff (1863), ni la brillante esquisse de M. John Morley (1873) ne sont encore ce qu’il nous faudrait. Qui dira si ce n’est pas l’abondance même des matériaux qui découragerait de les mettre en œuvre ? Mais qui ne voit, en conséquence, que plus ils s’accumulent, plus il faut se hâter, sauf à être obscur ou incomplet en quelques points, d’en tirer le parti qu’ils comportent. Supposé que le moment ne soit pas venu de bâtir, avant que de bâtir ne faudra-t-il pas toujours dessiner, et pourquoi ne commencerait-on pas ?