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qu’il s’était rallié franchement, sans arrière-pensée, au nouvel ordre de choses, que la maison lui plaisait, qu’il la trouvait commode, confortable, bien bâtie et bien meublée, qu’il s’y sentait à son aise. Mais, en même temps, il évitait soigneusement toute occasion de rencontrer un Hohenzollern et de se convaincre par ses yeux qu’il avait un suzerain à qui il devait foi et hommage et qui avait le droit de le conduire à la guerre. Autant qu’il lui était possible il écartait de sa royale personne les contacts fâcheux, les visages déplaisans, les impressions désagréables ; c’est à cela qu’il réduisait l’art de régner, et il tâchait de se distraire, d’oublier. « La merveilleuse illusion de l’oubli fait aller le monde, » a dit Mme de Staël ; elle est aussi quelquefois la seule consolation des rois.

Ce ne fut pas seulement par ses résignations et sa fidélité à ses nouveaux engagemens que le roi Louis II mérita les bonnes grâces de son suzerain ; les ministres qu’il chargeait de gouverner son royaume surent accommoder leur politique aux goûts de M. de Bismarck. Pendant les jours les plus orageux du Culturkampf, le chancelier de l’empire allemand n’eut jamais la moindre difficulté avec les six plénipotentiaires qui représentaient le gouvernement bavarois dans le conseil fédéral, et le parti du centre ne reçut aucune marque de sympathie du roi Louis et de son cabinet. Par une attention délicate ou par un dévoûment exemplaire, au moment où M. de Bismarck ouvrait en Prusse les hostilités contre l’église, M. de Lutz les ouvrait en Bavière et semblait disputer au grand ministre le périlleux honneur de braver les anathèmes du Vatican et les censures de l’épiscopat. Le banderillero détournait obligeamment sur lui les colères du taureau ; le matador lui en savait gré.

La Bavière, est à l’égal de la Belgique, un des pays de l’Europe où l’église intervient le plus dans la vie publique, dans les mêlées électorales, un des pays où elle a le mieux su se servir de la liberté de la presse et du droit d’association pour assurer son empire sur les esprits. Dans ces deux royaumes, les nouvelles méthodes et tous les procédés de la stratégie moderne ont été mis avec une habileté rare au service des vieilles idées et des vieux dogmes. Le clergé bavarois est si sûr de son crédit de son influence, que ni les progrès de la démocratie, ni le suffrage universel et direct ne lui inspirent aucune appréhension, et qu’il se prêterait facilement à la séparation de l’église et de l’état. En 1877 dans la conférence qu’ils tinrent à Wurtzbourg, ses délégués déclarèrent que, si le gouvernement ne s’engageait pas à observer dans toutes ses clauses le concordat du 5 juin 1817, en abrogeant les dispositions contraires édictées en 1821, évêques et curés renonceraient volontiers à leur traitement : qu’on leur octroyât la liberté, ils se chargeaient de demander leur pain quotidien à la charité du peuple.