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ces sentimens que j’entre dans le huitième siècle de règne des Wittelsbach. » Trois jours après, on procédait à la célébration du jubilé, et l’empressement que témoignèrent toutes les classes de la population donna la mesure de la popularité dont jouissait encore l’arrière-petit-fils de l’électeur Maximilien-Joseph IV, devenu roi de Bavière par la paix de Presbourg et par la grâce de Napoléon Ier.

Les Bavarois auraient éprouvé un douloureux étonnement si, au milieu de leurs réjouissances, un prophète était venu leur annoncer que, six ans plus tard, leur jeune souverain serait fou à lier, qu’il faudrait l’enfermer et qu’il donnerait à l’Europe le tragique spectacle d’un roi incapable de survivre à sa déchéance, et qui aime mieux se tuer que de n’être plus roi. Toutefois, si populaire qu’il fût encore et bien que personne ne lui fit l’injure de douter de sa raison, on signalait depuis longtemps dans sa conduite, dans ses habitudes, comme dans son caractère et dans son langage quelques bizarreries qui choquaient et inquiétaient son peuple.

On lui reprochait tout d’abord son entêtement à ne pas se marier. Un jour on s’était flatté qu’il se résoudrait à franchir le pas. En 1867, il avait paru concevoir un goût très vif pour la princesse Sophie de Bavière, aujourd’hui duchesse d’Alençon. En sortant d’un bal, où il s’était déclaré, il était monté à cheval et jusqu’à l’aube il avait galopé dans les bois et raconté son aventure aux étoiles. Mais cette aventure n’avait point eu de lendemain ; cette grande passion s’était bientôt calmée, cet amoureux s’était subitement refroidi et retiré. Son essai malencontreux l’avait à jamais dégoûté de l’amour ; les femmes lui inspiraient dorénavant un invincible éloignement ; à la réserve de sa mère, de la princesse Gisèle et de l’impératrice d’Autriche, il affectait de les mépriser toutes. Faut-il croire qu’aucune d’elles ne ressemblait à ses fées ou qu’amoureux de sa liberté, ce fier Hippolyte avait juré de ne laisser jamais asservir son cœur ? La cantatrice qui se permit, un soir, de lui donner un baiser sur le front faillit payer de sa vie son audacieuse entreprise. Il ne voulait pas se donner, il voulait encore moins qu’on le prît. Le grand Frédéric, lui aussi, aimait peu les femmes, il cherchait ailleurs ses plaisirs : il s’était pourtant laissé marier. Les Hohenzollern ne tentent jamais de se soustraire aux obligations de leur état, aux nécessités de la vie commune, aux devoirs ingrats et déplaisans. Louis II, comte palatin du Rhin, duc de Bavière, de Franconie et de Souabe, n’était pas homme à sacrifier ses fantaisies ou ses dégoûts aux convenances de ses sujets, et ses sujets s’en plaignaient, tout en le respectant beaucoup.

On regrettait que ce prince, si jaloux de sa liberté, si attentif à la défendre contre les femmes, la défendit si mal contre certaines influences occultes et pernicieuses, contre d’indiscrets favoris qui s’in-