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vigueur expressive qui, dans la maquette improvisée de M. Dalou, révèle du moins, malgré les faiblesses de l’ensemble, un sculpteur de forte race.

Ah ! qu’il serait bien plus grand, bien plus juste, ce nous semble, de représenter, dans le temple de la gloire et de l’immortalité, le grand poète dans un état vraiment glorieux et immortel ! Comme il serait plus beau de le montrer vivant, pensif, actif, dans le rayonnement éblouissant de son œuvre immense, ou marchant, dans l’éternité, côte à côte avec les génies de sa trempe, joyeux et fier d’être accueilli par eux comme un frère, mais ne leur demandant pas d’inconvenans hommages ! Qu’est-ce que la mort pour l’homme de génie ? Un instant rapide et insaisissable d’anéantissement entre l’activité créatrice de la vie qui finit et l’activité expansive de la gloire qui commence. Si les siècles passés croyaient fermement à la résurrection du corps, nous ne croyons pas moins fermement à l’immortalité de la pensée. Personne n’a jamais affirmé plus fréquemment, plus résolument, plus hardiment que Victor Hugo sa croyance à la durée infinie de la vie, de la vie générale et de la vie individuelle. Et c’est lui, lui, l’infatigable agitateur d’images vivantes, le puissant remueur de sensations et d’émotions, que vous allez immobiliser, pour toujours, dans la rigidité froide du cercueil, que vous allez condamner à cette attitude dont il avait horreur :


… cette morne attitude
Que donne aux morts glacés la forme du tombeau !


Ces exagérations de l’expression de la douleur dans les monumens funéraires, où dorment des restes d’hommes illustres, ne répondent point au vrai sentiment humain. On peut pleurer ceux qui ne laissent après eux qu’un souvenir de mort obscure et prématurée, on ne s’apitoie pas sur les hommes de pensée on d’action qui ont accompli bravement leur œuvre et marqué noblement leur passage sur terre. A la renaissance, quand un sculpteur étendait à la base d’un tombeau le cadavre couché d’un prince on d’un soldat, presque toujours il le ressuscitait en même temps pour le redresser en armes ou l’agenouiller en prière, bien portant et bien vivant, sur le faîte de son monument. Ce qui se faisait à Venise et à Saint-Denis peut se faire au Panthéon.

Le grand artiste qui, l’année dernière, exposait, sous le titre du Souvenir, sur le tombeau d’une jeune femme morte en pleine fleur de beauté et de bonheur, une touchante statue de la Douleur, M. Antonin Mercié, montrerait sans doute, dans une occasion pareille, une imagination plus forte et plus virile. C’est encore un