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imposées auxquelles ils ne se peuvent soustraire sous aucun prétexte. Leur plus grand mérite est de savoir en tirer parti pour faire une œuvre en conséquence qui satisfasse à la fois l’esprit et les yeux. Un certain nombre de projets, exécutés ou en cours d’exécution, concernant des édifices de genres très différens, nous donnent à ce sujet d’intéressantes indications sur les tendances générales de nos architectes.

L’an des plus importuns est le Palais-de-Justice de Bucharest, par M. Albert Ballu. La façade, composée d’un grand corps central et de deux ailes, se présente d’une façon grave et imposante. Dans l’ensemble des proportions, dans le parti-pris des trois masses solidement assises et bien reliées entre elles, dans la correction nette et fine des détails, M. Albert Ballu se montre fidèle observateur des règles classiques ; on lui sent néanmoins un esprit libre, doublé de science et de prudence, qui ne redoute pas les innovations, mais qui ne les tente qu’avec réflexion. C’est ainsi que la belle suite des grands pilastres, montant d’un seul jet jusqu’à l’entablement, devant l’avant-corps central, avec deux rangs de fenêtres dans les entre-colonnemens, rappelle bien moins, par la vigueur de ses reliefs, les façades académiques du XVIIe siècle, conçues dans le même système, que les rangées de contreforts soutenant certaines façades richement ornées des grands hôtels de ville flamands. La façon dont les niches de statues y sont encastrées, l’ampleur du grand toit qui couronne cette colonnade, augmentent encore cette impression. C’est dans le rattachement du toit à l’entablement que M. Albert Ballu a montré le moins de décision ; l’adaptation de ces hautes toitures, nécessaires dans les climats pluvieux, reste d’ailleurs l’un des problèmes les plus difficiles à résoudre pour tous les architectes qui tiennent à conserver dans sa pureté la plate-bande classique. Nos vieux constructeurs s’en tiraient à merveille par les débordemens audacieux du toit même, formant aux édifices une coiffure bien posée, ou par des pénétrations de hautes fenêtres à pignons saillans, qui égayaient et allégeaient ces montagnes ardoisées tout en paraissant les soutenir. Mais si l’on veut conserver sa corniche intacte, il est bien difficile d’y poser cet appendice non prévu par les climats secs sans chercher quelque artifice pour l’y raccrocher. De là une série de mensonges qu’on n’évite guère, mais qui n’en sont pas moins choquans pour des yeux aimant la logique, des balustrades, de fausses terrasse derrière lesquelles on ne se promènera jamais, des acrotères plantés en ligne à la base des surfaces inclinées, qui ne se découperont jamais sur un coin de ciel. M. Ballu, malgré sa science, n’a pas échappé à tous ces dangers. Sans doute il pourrait, dans la renaissance, nous citer bien des exemples de ces faux édicules, sans destination, sans épaisseur,