tâche de cacher l’art par l’art même ; car je n’y ai en vue que les gens de goût et nullement les savans, puisqu’il y en a beaucoup de ceux-là et presque point de ceux-ci. »
Bien des compositeurs modernes, à qui leur renommée de science profonde a fermé les portes, auraient pu s’approprier ce plaidoyer du vieux maître. J’ignore le succès qu’aurait présentement une semblable requête auprès de nos directeurs de théâtres ; celle de Rameau resta sans réponse. Voltaire, de meilleure composition qu’Houdard, ou simplement désireux d’être agréable à La Popelinière, voulut bien écrire pour son protégé le poème de Samson ; mais les ennemis de l’auteur, exploitant habilement les préventions de l’autorité contre les sujets religieux au théâtre, firent interdire la pièce. Rebuté de ce côté, Rameau se remit en campagne ; à force de démarches, il finit par obtenir, de l’abbé Pellegrin, le livret d’Hippolyte et Aricie,.. contre un billet de 50 pistoles à trois mois. On raconte que l’abbé, quand on lui eut fait entendre la partition, rougit de son procédé et déchira la cédule ; je ne le lui conseillerais pas aujourd’hui. Il y a, dans cette œuvre de début, une alternative singulière de pusillanimité et d’audace, des enfantillages et des traits de génie, deux ou trois récitatifs superbes noyés dans une déclamation pénible, de charmans airs de danse, un gracieux rondeau, la célèbre gavotte chantée : À l’amour rendons les armes, et une page de premier ordre, le tragique trio des Parques, dont on dirait que Mozart s’est souvenu dans la scène du Commandeur, si Mozart n’avait toujours professé l’absolu mépris de la musique française. Pour le reste, la partition de Rameau est faible et languissante. Mais, auprès de celles de Lulli, elle pourrait passer pour moderne, tant les accompagnemens ont de valeur, tant il y a d’imprévu dans la modulation ; on sent courir à travers l’orchestre un souffle de vie nouvelle ; les violons s’émancipent, les instrumens à vent font bande à part au lieu de doubler simplement le quatuor. À la première représentation, toutes ces nouveautés firent scandale ; la soirée du 1er octobre 1733 resta longtemps célèbre dans les annales de l’Opéra. L’orchestre perdait la tête pour quelques arpèges et gammes chromatiques dont on l’avait chargé dans l’accompagnement ; l’audacieuse harmonie du trio des Parques déconcertait les chanteurs ; les murmures du parterre achevèrent la déroute. Nonobstant, le Mercure de France témoignait une satisfaction sans mélange. Ce n’était pas l’avis du musicien qui, dans son chagrin, ne parlait de rien moins que de renoncer au théâtre ; mais les éloges de Campra, son rival, et le revirement qui se produisait peu à peu dans le public en faveur de son œuvre, n’eurent pas de peine à lui relever le courage. L’appui des gens de lettres n’y fut pas non