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je dois avouer que la conversation prit tout à coup une assez triste tournure. Les nouveau-venus nous peignaient les mœurs du Maroc sous des couleurs assez sombres. Ils nous décrivaient en particulier deux supplices usités dans le pays, qui m’ont donné la chair de poule. Le premier, connu sous le nom de djellaba de bois, eût séduit Louis XI. On sait que la djellaba est le vêtement principal des Marocains : une sorte de manteau à capuchon et à manches courtes. On le remplace pour certains condamnés par un mannequin en bois rempli de pointes intérieures, dans lequel ils sont enfermés comme dans un vêtement. Ils reposent uniquement sur la pointe des pieds et un peu sous les aisselles. Mais à chaque mouvement qu’ils font pour se reposer d’une punition cruelle qui condamne le corps à une tension perpétuelle, ils se blessent aux pointes, qui leur entrent profondément dans la chair. Et ils restent ainsi, jours et nuits, d’ordinaire jusqu’à ce que la mort s’ensuive. L’autre supplice est plus abominable encore : on prend la main du patient et on y fait de longues entailles saignantes que l’on remplit de sel ; puis on la referme, et, pour l’empêcher de se rouvrir, on l’enveloppe d’une peau mouillée qui se resserre peu à peu en séchant, enfonçant les doigts dans la paume de la main et faisant pénétrer sans cesse plus profondément la douleur cuisante du sel dans les plaies brûlantes. Il paraît que ce dernier supplice est considéré comme le plus affreux de tous. Pour y échapper, la plupart de ceux qui y sont soumis se brisent la tête contre le mur dans des accès d’atroces souffrances. C’est encore une manière d’amener la mort du supplicié. Mais souvent on le tient longtemps attaché de manière à l’empêcher de mettre un terme à ses maux ; on ne lui laisse la liberté de se tuer que lorsqu’on a jugé que son châtiment est assez complet. De pareilles horreurs n’expliquent-elles pas l’état du Maroc ? Peut-on s’étonner que le pays où elles se passent soit le dernier des pays musulmans du nord de l’Afrique ?


GABRIEL CHARMES.