Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/136

Cette page a été validée par deux contributeurs.

à la chaux. Nous n’avions rencontré dans les grandes plaines et sur les collines précédentes que des douars, c’est-à-dire des agglomérations de tentes en poil de chameau ou de cahutes de branches enfouies sous les larges feuilles des cactus. Seules, les maisons en kaïos avaient quelque solidité. Mais, ici, les matériaux de construction ne manquant pas, et les Berbères ayant toujours eu des goûts sédentaires inconnus aux Arabes, nous nous trouvions en présence de villages véritables, presque de petites villes, qui nous semblaient, à en juger par leur étendue, populeuses et relativement riches. Toutefois, nous n’étions pas assez rapprochés du Djebel-Zerhoum, que nous laissions à notre droite, pour en bien juger ; et, d’ailleurs, la brume intense qui couvrait la montagne ne nous permettait de l’apercevoir qu’à de rares intervalles et par lambeaux. Nous marchions dans une vallée étroite, où la boue, s’attachant aux pieds de nos chevaux, nous menaçait sans cesse d’accidens. Aucun de nous cependant n’eut de chute à déplorer. Mais les canons que nous conduisions au sultan n’étaient pas aussi heureux ; presque à chaque oued qu’il fallait traverser, l’un d’eux tombait dans l’eau et n’en était retiré qu’à grand’peine, au milieu d’un épouvantable vacarme. Si c’est ainsi qu’est traitée l’artillerie dans les campagnes du sultan, je doute qu’elle fasse grand mal à l’ennemi. La nôtre était confiée à des artilleurs indigènes, sous la direction d’un sous-officier français. Nous avons, en effet, au Maroc, une mission militaire permanente, dont la majeure partie, un commandant, un capitaine et un sous-officier d’artillerie sont spécialement chargés d’apprendre aux soldats du pays le maniement du canon. Le commandant, qui revenait de France, s’était joint à nous, avec son sous-officier, qui avait conduit toute une escouade d’artilleurs marocains pour escorter nos batteries jusqu’à Fès. Ces braves gens s’acquittaient de leur mission avec la nonchalance musulmane. En désespoir de cause, un des officiers de notre mission fut chargé de les surveiller et de les empêcher de détériorer outre mesure le présent que nous tenions à offrir à peu près intact à Moula-Hassan. Il les aligna de son mieux, chargea chacun d’eux de suivre un mulet portant les pièces ou les munitions, et mit sa colonne en marche avec un ordre des plus satisfaisans. Tout allait fort bien, lorsque apparut, par malheur, sur le bord de la route un marchand d’oranges. Aussitôt les artilleurs désertent en masse leur poste pour courir après un fruit aussi rafraîchissant, et, pendant qu’ils s’éloignent, les mulets glissent dans la boue, les pièces roulent à l’eau, les munitions se répandent à terre ! C’est ainsi que la discipline est pratiquée au Maroc. Mais j’ai conçu une grande indulgence envers les artilleurs marocains, ayant appris plus tard qu’ils avaient fait presque