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leurs de la tribu, subitement revenus pour cela de la campagne contre les Zemmour-Chleuh’, ne nous enlevât une des trois jumens que nous conduisions au sultan, jumens dont la réputation méritée s’était déjà répandue dans tout le pays, nous avions voulu faire garder le camp par les soldats français. Mais le caïd raha, indigné de cet affront, nous avait suppliés de lui laisser le soin de notre sécurité, dont il avait l’entière responsabilité, et, pour nous rassurer complètement en nous donnant la preuve qu’ils faisaient bonne garde, ses hommes avaient fait toute la nuit un tel vacarme qu’aucun de nous n’avait pu fermer l’œil. Au point du jour, nous étions à cheval, nous dirigeant vers une chaîne de montagnes dont le profil nous était apparu à l’horizon toute la journée précédente. Une escorte, venue je ne sais d’où et appartenant à je ne sais quelle tribu, nous avait rejoints dès le début de notre marche. Partout autour de nous, les glaïeuls, les pâquerettes blanches et jaunes, les mauves rouges, de nombreuses labiées et papilionacées s’étendaient en gais et clairs tapis. La montagne, que veloutaient les rayons du soleil naissant, était zébrée de grandes plaques alternativement dorées et blanches, formées tantôt par des massifs de petits soucis, tantôt par des déchirures de la terre végétale, qui laissaient apparaître la roche crayeuse, pareille de loin à de la neige. Nous allions quitter enfin l’éternelle monotonie de la plaine : mon cœur de montagnard en tressaillait de joie ! Bientôt, en effet, la montagne s’ouvrit devant nous et nous pénétrâmes dans un défilé aride et grimpant, Bab-Tsiouka, qui nous conduisait vers une région bien différente de celle que nous venions de traverser, une région de collines fleuries et de fraîches vallées dominées par de hautes cimes sèches et dénudées. À la descente du défilé, nos cavaliers, répandus sur les deux flancs de la montagne, notre longue caravane, circulant avec lenteur dans l’étroit sentier creusé par les passans en ce lieu poétique, formaient un délicieux tableau à la Fromentin. Mais à peine étions-nous au pied de la montagne, que notre escorte s’éloigna de nous, sans nous accompagner, suivant la coutume, jusqu’à l’escorte prochaine, qui se tenait, l’arme au bras, à un kilomètre environ. Le caïd raha s’empressa de nous expliquer qu’elle n’agissait point ainsi par manque d’égards envers nous, mais uniquement parce que la tribu à laquelle elle appartenait était en mauvais termes avec la tribu voisine chez laquelle nous allions entrer, celle des Ouled-Delim (Delim signifie le mâle de l’autruche), des fils de l’autruche. Nous comprîmes aisément un scrupule aussi naturel : mais nous pûmes faire la réflexion que l’autorité du sultan n’imposait point la paix à ceux qui se soumettaient à elle. Voilà deux tribus qui reconnaissent le pouvoir de Moula-