sous la tête des chevaux, par un énorme gland toujours, lui aussi, de couleur uniforme. Enfin, sous les selles, une dizaine de couvertures disposées les unes au-dessus des autres semblaient n’avoir été placées là que pour faire sortir de la croupe des chevaux une frange d’écume blanche, qui donnait plus de valeur encore à la vivacité de ces tons ardens. J’ai eu un instant l’éblouissement de l’Orient. Mais cette magnifique escorte nous a quittés trop tôt, et nous a laissés seuls sur le territoire des Beni-Ah’sen. Là, personne ne venant à notre rencontre, nous allâmes camper, en vue de la k’oubba de Sidi-Gueddar, sur une plate-forme desséchée située au bord de l’oued Rdem, à la lisière d’un gros village qui nous paraissait à peu près désert.
Il l’était, en effet, ce qui nous fut expliqué bientôt. Il n’y restait plus que les femmes, quelques vieillards et des enfans, tous parfaitement laids, sales et farouches, ainsi qu’il convenait à des spécimens de la plus détestable tribu marocaine. Cette tribu était en guerre contre la voisine des Zemmour-Chleuh’, et tous les hommes valides combattaient au loin. Le sujet de la querelle rappelait la guerre de Troie. Un Zemmour-Chleuh’ avait enlevé, paraît-il, à son mari une femme des Beni-Ah’sen, ce qui prouvait certainement, à en juger par les spécimens du beau sexe de cette tribu que nous avions sous les yeux, qu’il était affligé du plus mauvais goût. Mais que de malheurs peut entraîner un pareil défaut ! Deux combats avaient déjà été livrés par les Beni-Ah’sen aux Zemmour-Chleuh’. Dans le premier, s’il faut en croire les récits du douar près duquel nous campions, seize Zemmour avaient été tués et quarante dans le second. Naturellement, les pertes des Beni-Ah’sen ne s’élevaient qu’à quatre ou cinq hommes. Mais je n’ai pu recueillir que la version des Beni-Ah’sen : qui sait si la proportion des tués de chaque tribu n’était pas renversée dans les récits des Zemmour-Chleuh’ ? Quoi qu’il en soit, les Beni-Ah’sen affirmaient qu’ils avaient coupé les cinquante-six têtes ennemies et qu’ils les avaient envoyées au sultan, lequel s’était montré fort satisfait de ce don sanglant. Ceci n’avait rien que de vraisemblable. La tribu des Zemmour-Chleuh’ est une de celles qui ne reconnaissent guère l’autorité du sultan, ou plutôt qui ne la reconnaissent que lorsque le sultan leur fait la guerre et campe sur leur territoire. Or, on annonçait que Moula-Hassan préparait précisément une campagne contre les Zemmour-Chleuh’, chez qui il se proposait d’aller accomplir sous peu une de ces razzias gigantesques par lesquelles s’affirme, dès qu’il se sent le plus fort, son pouvoir sur ses sujets révoltés. Il devait donc lui être très agréable d’apprendre que les Beni-Ah’sen lui mâchaient en quelque sorte la besogne en affaiblissant les Zem-