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quelques verstes de Moscou, dans la maison déserte. Ils entrent dans la maison, pénètrent dans la pièce hantée, et s’installent le plus commodément qu’ils peuvent pour y bien passer la nuit. Ils ont allumé leur lampe, ils ont des livres, une bouteille de champagne ; et, comme ils sont braves et incrédules, nul autre sentiment ne les agite qu’une petite émotion qui n’est peut-être pas sans quelque agrément. Nicolas se met dans un grand fauteuil pendant que Serge lui fait la lecture. Cependant l’heure marche. C’est à minuit que doit venir le spectre. Il est onze heures ; onze heures un quart. Serge, jusque là tout à fait rassuré, commence à ressentir un vague sentiment d’inquiétude : il regarde Nicolas, qui dort tranquillement. — Onze heures et demie. — Nicolas dort toujours, d’un sommeil difficile à comprendre en ce moment critique. Serge commence à devenir tout à fait inquiet. Il essaie de réveiller Nicolas qui, alourdi par le sommeil, ne répond pas aux instances de son ami, se retourne sans mot dire et continue à dormir profondément. Alors la terreur de Serge augmente. — Onze heures trois quarts. — Oui vraiment, le fantôme va venir, et Serge se sent envahi par une angoisse indicible qui croît à chaque minute. De nouveau il presse Nicolas, le secoue de toutes ses forces, l’appelle avec toute l’énergie du désespoir : mais c’est en vain, Nicolas ne répond pas. Et l’heure marche toujours. Et la terreur augmente à chaque minute. Tout d’un coup la lampe s’éteint. Dans l’obscurité la figure de Nicolas prend une teinte blafarde, phosphorescente. Nicolas a disparu. Celui que Serge essaye de secouer, ce n’est pas son ami, son camarade, son défenseur ; c’est le spectre lui-même qui se dresse hideux, tout debout.

Voilà, je pense, toutes les conditions requises pour que la terreur soit complète, et je ne souhaiterais pas, même au plus brave, d’en faire l’épreuve.


X.

Envisageons dans leur ensemble les symptômes et les causes de la peur. Nous pourrons comprendre avec plus de netteté la loi simple qui réunit tous les faits.

Tous les êtres vivans sont organisés pour vivre. Qu’ils soient intelligens ou non, consciens ou non, ils doivent vivre ; et toutes leurs émotions, tous leurs actes sont conformes à ce grand devoir.

De là ces émotions protectrices, ces réflexes protecteurs, qui font fuir le danger, sans que l’intelligence et la conscience aient besoin d’intervenir. La peur est un de ces réflexes de protection.