Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/116

Cette page a été validée par deux contributeurs.

soustraire à ce réflexe. Ce n’est pas là de la peur dans le sens moral du mot. C’est une peur exclusivement physique. Les artilleurs novices, au moment où ils vont tirer un coup de canon, éprouvent, dans l’attente du bruit violent qui va suivre, sinon de la peur, au moins une certaine émotion qui n’en est pas très différente.


La vue de certains animaux peut nous inspirer de la frayeur ; mais c’est surtout le bruit qu’ils font qui épouvante. L’ouïe est le sens de la peur. Aussi, la vue, le toucher et le goût nous protègent-ils en général par l’émotion dégoût plutôt que par l’émotion frayeur, qui plus souvent dépend de l’ouïe. Quelquefois, il est vrai, l’émotion dégoût et l’émotion frayeur se ressemblent ; un crapaud dégoûte et effraie à la fois ; tandis qu’un lion ou une panthère inspireront de l’effroi ; mais il est difficile de décider si cet effroi est naturel, ou bien s’il est dû à notre connaissance de la férocité du lion et de la panthère.

L’odeur peut aussi produire de la frayeur. Le cheval tremble épouvanté quand il sent l’odeur de l’éléphant ; les chiens se reculent effrayés quand on les met sur la piste du loup ; l’odeur du tigre effraie les chevaux.

Probablement, en faisant sur ces répulsions instinctives des observations quelque peu approfondies, on arriverait à constater nombre d’émotions analogues, qui seraient, je m’imagine, fort intéressantes à étudier.


IX.

Si nous passons aux choses qui sont capables d’inspirer de la frayeur, en laissant de côté, bien entendu, celles que nous savons menaçantes pour notre vie, nous trouvons trois conditions principales : l’inconnu, l’obscurité, la solitude.

D’une manière générale, ce que nous ne connaissons pas nous fait peur. Un animal qui se présenterait à nous avec des formes tout à fait étrangères à celles que nous connaissons exciterait probablement un vif mouvement de frayeur ; mais, à cet égard, l’homme fait, dont la raison corrige les sentimens instinctifs, est un mauvais exemple à donner. C’est l’enfant qu’on doit prendre pour type.

Un enfant qui voit pour la première fois un animal quelconque, surtout de taille un peu notable, est fortement effrayé. Cela est vrai, quelle que soit la nature de l’animal. Un enfant de trois ans, habitué à voir Médor tous les jours, a peur s’il voit Azor qu’il ne connaît pas, puis, peu à peu, il s’habitue, et finit par ne plus en être