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laquelle elle avait failli être en guerre. C’est la Turquie elle-même qui est intervenue, sans rancune, pour hâter la solution dans l’intérêt de la Grèce, et de fait, le blocus a été levé ; lord Rosebery l’a annoncé il y a peu de jours au parlement anglais. C’est donc le dernier mot, la fin des fins, on peut le croire, et de cet épisode il ne reste plus que le souvenir d’une assez médiocre campagne où les puissances ont obtenu ce qu’elles voulaient sans avoir le droit d’être bien triomphantes, où la France elle-même n’a peut-être pas fait une figure bien digne d’elle. C’est l’impression qu’on garde encore à la lecture de ce « livre jaune, » que notre gouvernement vient de publier, et qui n’est que l’histoire d’une assez maussade aventure de diplomatie.

La grande lutte qui passionne l’Angleterre bien plus que l’incident grec, qui depuis quelques mois agite le parlement, l’opinion, et a déjà passé par tant d’émouvantes alternatives, cette lutte vient d’avoir son dénoûment, ou tout au moins ce qu’on pourrait appeler un premier dénoûment. La politique de l’home rule a essuyé une défaite signalée dans la chambre des communes. Il s’est rencontré une majorité de trente voix pour refuser d’admettre à la seconde lecture le bill proposé par M. Gladstone pour l’émancipation de l’Irlande.

Jusqu’au dernier moment, il est vrai, la question a pu paraître incertaine. D’un côté, les scissions s’accentuaient dans le camp libéral. Lord Hartington et ses amis du vieux parti whig s’étaient nettement et irrévocablement décidés ; ils conduisaient la campagne de l’opposition. M. Chamberlain et les radicaux, après avoir paru un instant hésiter, se prononçaient à leur tour plus vivement que jamais il n’y a que quelques jours, à la veille de la bataille décisive. Le ministère avait perdu ses amis traditionnels et ses nouveaux alliés du radicalisme ; il ne pouvait plus même compter sur M. Bright. — D’un autre côté, M. Gladstone gardait encore un tel ascendant qu’il semblait suffire à lui seul, avec la puissance de sa parole, avec son habileté, pour rallier l’armée ministérielle et retenir la victoire. Il ne négligeait certes rien, en tacticien savant qu’il est, pour voiler ou atténuer les dissidences, pour reconquérir les libéraux ou les radicaux qui se séparaient de lui. Il s’étudiait à les désarmer en leur montrant qu’il ne s’agissait, après tout, à cette seconde lecture, que du vote d’un principe, que le bill serait ensuite retiré et remanié, que le parlement restait libre. Il mettait toute sa dextérité à gagner du temps, dans l’espoir de lasser l’opposition, d’entraîner l’opinion. C’était sa tactique évidente depuis quelques semaines. Jusqu’à quel point avait-il réussi ? On ne le savait pas. Le jour où la discussion définitive s’est ouverte à Westminster, la scène était assurément dramatique. Un des chefs du libéralisme dissident, M. Goschen, a engagé le feu avec autant de vigueur que de talent contre la politique irlandaise du cabinet. Le chancelier de l’échiquier