Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/949

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux épreuves, ni sur les chances de succès qu’auraient ces ouvrages remontés en entier et plus posément qu’ils ne peuvent l’être pour un spectacle de circonstance. N’est-il pas question de représenter Psyché, l’hiver prochain, à la Comédie-Française? Et quelqu’un, à retrouver tel quel ce fragment de l’Illusion comique, n’a-t-il pas dû concevoir que ce serait un régal pour les oreilles d’entendre sonner le rôle du capitan par la spirituelle trompette de M. Coquelin? Ces divertissemens, toutefois, n’iraient pas sans difficultés : nous remettons à une audience moins chargée d’affaires le soin de nous expliquer là-dessus.

Mais Corneille, ou Corneille aidé de Molière, n’a pas fait tous les frais de ces cérémonies données le 6 juin en son honneur : la piété publique ne l’eût pas souffert. Outre que, ce jour-là, on a couru le Grand Prix, M. Emile Blémont, sur la rive droite, MM. George Bertal et René Lafon, sur la rive gauche, ont dédié quelques vers au poète : ceux-ci, une petite comédie, la Lettre du cardinal; celui-là, un discours intitulé Visite à Corneille. Ce grand homme est encore, parmi nos classiques, celui qu’on célèbre le plus volontiers par un à-propos: d’ordinaire, soit dans une scène tirée de l’histoire de sa vie ou de sa légende et farcie d’anachronismes, soit dans un poème lyrique, soit en prose rimée, soit en vers romantiques, on glorifie familièrement ses vertus provinciales, on exalte sa gloire par des prophéties prêtées à un contemporain ou à lui-même ; on dit son fait à Louis XIV, accusé d’avoir gardé tout le poulet pour Molière, ou plutôt pour ses courtisans ; on salue enfin l’auteur d’Horace comme un vieux bourgeois stoïcien, véritable fondateur de la république romaine et précurseur de la révolution française.

La pièce de MM. Bertal et Lafon n’est pas tout à fait contre les coutumes du genre : on y voit, à la fin, les principaux héros du théâtre de Corneille envahir le salon de son futur beau-père, M. de Lampérière, lieutenant-général des Andelys; au milieu.de cette assemblée, Rotrou, venu tout exprès de Paris pour être le deus ex machina de ce petit drame, couronne un buste du fiancé fait récemment par Pierre Puget. (Le sculpteur, alors, n’a que dix-sept ans à peine; par compensation, il a vieilli le poète: car ce buste, en face d’un original de trente-trois ans, est la tête de vieillard que nous connaissons tous.) Rotrou encourage Corneille, génie méconnu, et le traite « d’apôtre; » il l’assure que ses vers enfanteront des héros et feront « trembler les rois. » Mais le sujet de cet opuscule est gentil, l’action assez vraisemblable et vivement conduite. Pour ce qui est de l’idée première, les auteurs se sont inspirés d’un passage de Taschereau, d’après lequel Bichelieu en personne aurait décidé M. de Lampérière, d’abord récalcitrant, à bien vouloir accepter Corneille pour son gendre. Ils l’ont fait après M. Pontsevrez, dont j’ai