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sont parmi les plus belles, enveloppées de recueillement, infiniment tristes, mais d’une tristesse qui ne s’emporte ni aux cris, ni même aux sanglots. Le Kyrie n’est qu’une plainte voilée, sans l’éclat un peu fier, presque révolté du Kyrie de Verdi. C’est que l’homme a plus d’une manière de souffrir et de pleurer, et des mères parfois se sont agenouillées avec douceur devant le cercueil des fils. On sent pourtant, dans cet Introït, avec la résignation, la peine profonde et le dénûment de pauvres âmes veuves ; on y retrouve cette détresse que nous connaissons tous, où nous plongent les départs sans retour.

Au Kyrie succède un double chœur écrit avec une irréprochable pureté dans le style de Palestrina. Cette réminiscence volontaire d’un maître unique entre tous les maîtres religieux est la bienvenue : la majesté du rythme, la marche des notes qui cheminent lentement, s’éloignent ou se rapprochent sans jamais se heurter ni se confondre, la plénitude des harmonies, tout cela produit un effet puissant, auquel peu de musiciens aujourd’hui seraient capables d’atteindre. Ce beau chœur, exclusivement vocal, aurait dû être exécuté sans accompagnement; mais le soutien de l’orgue avait paru sans doute indispensable aux choristes, qui d’ailleurs, même avec ce secours, ont médiocrement chanté.

Après avoir prouvé qu’il connaît à fond les grands ancêtres et qu’il sait au besoin les imiter, M. Gounod, revenant à sa propre nature, retrouve aussi pure, aussi poétique qu’autrefois l’inspiration de sa jeunesse. Heureux les maîtres, quand le génie leur reste longtemps fidèle, quand le souffle divin passe encore sur leur tête blanchie ! Le musicien de Faust et de Mors et Vita possède plus que tout autre cette constance, cette conséquence de la pensée avec elle-même, dont nous parlions plus haut : il ne s’est jamais ni désavoué ni contredit. Les envieux l’accuseraient plutôt de se répéter; mais celui qui prononça le premier de telles paroles a bien le droit de les redire. La nouveauté, la personnalité du talent, voilà la raison de la gloire de M. Gounod comme de toute gloire durable. Il est de ceux qui ont ajouté une corde à la lyre; nul avant lui n’avait chanté comme il chanta, et comme heureusement il chante encore aujourd’hui.

Sa manière est particulièrement reconnaissable dans quatre quatuors qui sont le corps principal, et comme le cœur du Requiem. Quatre quatuors, dira-t-on, doivent former une série un peu monotone. Mais ils ne se suivent pas immédiatement, et de plus leur charme est si pénétrant qu’on ne se fatigue pas de leur succession harmonieuse. Quid sum miser ! — Ingemisco. — Oro supplex. — Pie Jesu, ainsi commencent ces quatre ensembles, dont le sentiment est à peu près identique et la beauté presque pareille. De ces humbles prières j’hésiterais à décider laquelle est la plus touchante. Le Quid sum miser ! débute