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intérêts; ce ne serait point déroger: Louis XIV faisait cela en son conseil de commerce.

2 mai. — Vier Kaiser ! quatre empereurs ! Je retrouve ici une photographie que j’ai vue partout. Le vieil empereur est assis, coiffé de la casquette militaire, la tête penchée vers son arrière-petit-fils, qu’il tient sur ses genoux. Son fils et son petit-fils sont debout auprès de lui.

Quatre empereurs, par le temps qui court, c’est beaucoup d’empereurs !

Il n’y a certainement aucune menace contre la dynastie, et personne ne peut deviner comment sera défait ce qui a été fait il y a quinze ans. Une coalition de princes allemands est impossible : rois, grands-ducs et ducs sont des ombres solennelles, vénérées par un reste d’habitude ; l’Autriche ne peut leur communiquer aucune force contre l’empire dont elle est la vassale. Les partis hostiles sont divisés ; le plus redoutable, qui est le parti catholique, est apaisé. N’importe! Le photographe qui a trouvé « les quatre empereurs » est un homme hardi; il ne redoute pas assez l’envie des dieux !

Nous disons en France : On verra ce qui adviendra quand M. de Bismarck et M. de Moltke ne seront plus Là ! Mais c’est commettre une grande injustice envers l’empereur que de ne compter pour rien sa disparition. Un homme qui a fait ses premières armes à Bar-sur-Aube, en 1814, et les dernières à Buzenval, en 1871, qui a pleuré auprès du lit de mort de la reine Louise, il y a soixante-seize ans, et, après avoir été témoin de l’abaissement de son pays, l’a porté au plus haut point de la puissance, est tout autre chose qu’un ornement de parade ; sa longue vie est le ciment entre le passée le présent et l’avenir. D’ailleurs, Guillaume Ier a d’autres mérites que d’avoir vécu longtemps : il a toujours voulu la même chose. Le prince qui, chaque jour de tant d’années, même au milieu d’une paix profonde, avait rempli son devoir d’officier comme si l’ennemi frappait aux portes, était seul capable d’entretenir l’esprit militaire en Prusse, pendant le règne pacifique de son frère, de proposer la réorganisation de l’armée après qu’il fut devenu le maître, de l’imposer à tous, en bravant l’impopularité, la haine, les menaces et le péril d’une révolution. Ajoutez qu’il a une grande vertu royale : il croit à la royauté ; il a foi en une mission qu’il estime tenir de Dieu lui-même. N’allons pas, encore une fois, crier à l’hypocrisie : il arrive aux rois comme aux simples mortels de se faire très sincèrement une religion de leur intérêt. Pas n’est besoin, pour cela, de grands calculs : il suffit de s’écouter soi-même. C’est chose très agréable que de se sentir près de Dieu, et c’est chose fort utile, en un temps où la terre tremble, que de prendre au ciel son