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L’Allemagne du moyen âge était en contact avec des peuples très différens d’elle. Tandis que les frontières de la France étaient des lignes conventionnelles, où les langues se mêlaient, où des principautés féodales chevauchaient moitié françaises et moitié allemandes, moitié françaises et moitié italiennes, moitié françaises et moitié espagnoles, l’Allemand se heurtait à l’est contre des Slaves, des Lithuaniens, des Hongrois, qui le détestaient, et qu’il exécrait. Les écrivains qui racontent le combat perpétuel contre ces Orientaux expriment des sentimens de haine et d’orgueil que ne connaissent pas nos vieux historiens.

Sans doute, le défaut d’organisation a livré l’Allemagne aux hasards de la politique et de la guerre. Elle est devenue au XVIIe siècle une région d’anarchie, dont chaque morceau était exploité par un prince, qui était, quelques exceptions faites, un personnage ridicule; mais nous ne savons pas assez que, même pendant cette période, elle a gardé son patriotisme, l’estime d’elle-même et une invincible espérance. Justement parce qu’il n’y avait pas de machine d’état, la commune qualité d’Allemand était toute la patrie, et c’était chose fatale que, le jour où ce pays serait unifié, il représentât une politique bien vieille à nos yeux, celle de la revendication au nom de la race du domaine historique de cette race.

C’était chose fatale aussi que la France représentât tout autre chose. L’universel, qui n’était qu’un refuge pour les Allemands du XVIIe et XVIIIe siècle, a été notre domicile habituel. De « l’univers romain» nous sommes passés dans l’universel catholicisme. Nous n’étions pas gens d’une sorte assez particulière au XVIe siècle, pour que quelqu’un se levât parmi nous, qui parlât à notre âme avec notre âme elle-même, comme Luther, un des plus grands parmi les Germains, a parlé aux âmes allemandes avec son âme allemande. Ce caractère universel et humain de notre génie apparaît dans notre littérature du XVIIe siècle, dans notre philosophie du XVIIIe, dans une révolution enfin dont nous avons voulu faire profiter l’humanité. En vérité, nous sommes loin, très loin de Vercingétorix.

Que faut-il dire à nos enfans? car il leur faut dire quelque chose. Dans les guerres du présent et de l’avenir, ce ne sont pas seulement des armées qui sont en présence, ce sont des âmes. Nous avons cru longtemps que le droit de vivre est naturel, et que, pour être, il suffit de naître ; mais la philosophie d’aujourd’hui enseigne la nécessité du combat entre des espèces qui doivent défendre leur existence. La disparition lamentable de l’esprit chrétien a une double conséquence : elle donne une légitimité à la guerre sociale (de quel droit disputerait-on leur part de la terre à des hommes qui n’attendent rien au-delà de la terre?) et elle nous reporte au temps où la