Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/915

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autres l’exècrent ; les argumens partent des principes les plus opposés. On dirait que des nations irréconciliables campent sur le même sol, prêtes à en venir aux mains. N’allons pas à l’ennemi avec des plaies si profondes ; nous avons « avant la bataille » une paix à faire, la paix avec nous-mêmes...


La police est bien faite à Berlin. Une seule fois, un mendiant, une petite fille, m’a tendu la main. La prostitution n’est apparente ni le jour ni dans les premières heures de la soirée. La nuit seulement, les rues qui sont à peu près désertes appartiennent aux rôdeuses. Cela ne veut certes pas dire que Berlin soit indemne de la corruption des grandes villes : il me semble même que le nombre des restaurans, des cafés chantans et des brasseries, où la table, la musique et la bière sont des prétextes, s’est grandement accru.

Dans une de principales rues, près des Tilleuls, il y a un singulier établissement, qui se donne le titre de « Concert de la résidence. » Les artistes sont des femmes de toutes nationalités : l’affiche appelle cette troupe « une chapelle de dames. » Chacune chante dans sa langue, et les Berlinois, qui sont polyglottes, vont faire là de la philologie comparée.

Mais je parlais de la police. Les agens ressemblent à des soldats. Ils sont sévères, rudes, strictement disciplinés. Ils font observer les ordonnances par tous comme des consignes. Par exemple, tous les chiens doivent être muselés : aucune infraction n’est tolérée à la règle. M. de Bismarck aime ses chiens, qu’il ne quitte pas et qui sont ses gardes-du-corps ; pour rien au monde, il ne voudrait les museler comme s’ils étaient les chiens du premier venu ou de simples démocrates-socialistes. Il a sollicité, me dit-on, une exception en leur faveur, mais ne l’a pas obtenue. Aussi ne sort-il guère et quitte-t-il Berlin dès qu’il le peut. Frédéric prit des provinces, mais respecta le moulin de Sans-Souci. M. de Bismarck a jadis, des années durant, violé toutes les lois de son pays, mais il se soumet aux ordonnances de police...

Les Allemands disent que la muselière protège leurs chiens contre l’hydrophobie. Ils sont heureux d’être affranchis de tout tribut à payer au Français Pasteur. J’ai le regret de dire, à ce propos, que toute gloire de la France importune certains savans en vue et les journalistes. La masse du peuple allemand est bonne ; elle a le sentiment de la justice, et il n’est pas vrai du tout qu’elle soit prête à se jeter sur nous pour la joie de nous faire du mal et de nous écraser; mais il y a chez nos voisins un grand parti de meneurs de haine. La haine éclate dans certains livres et dans la plupart des journaux. Je viens de parcourir des articles sur l’affaire de Grèce. Certes, je ne m’enorgueillis pas outre mesure des actes de la diplomatie