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vis-à-vis de l’Angleterre, enveloppant l’Espagne, touchant l’Allemagne et l’Italie, tenant d’un bras l’Océan et de l’autre la Méditerranée, elle peut, en quelques heures, lancer inopinément nos torpilleurs sur les ports de ces puissances et leur rendre périlleuse la navigation sur leur propre côte ; l’œuvre de destruction accomplie, nos torpilleurs pourraient regagner aussitôt l’abri de nos ports. Telle est la véritable mission, offensive et défensive, des torpilleurs autonomes ; quant aux croisières au large et à la grande navigation, cela n’est pas leur affaire.

Cependant on affirme « que ce torpilleur autonome (33 mètres, 45 tonneaux) est, quoi qu’on dise, un bateau très marin, propre à tous les voyages, » et on répond à ceux qui ne sont pas de cet avis qu’ils oublient « l’exemple des flottilles antiques et celui de Christophe Colomb, qui a traversé l’Atlantique avec de simples caravelles. » Cet argument montre que tout le savoir, toute l’intelligence possible, ne peuvent donner la connaissance des choses de la mer à ceux qui, n’étant pas du métier, n’en ont pas l’expérience. Jamais un marin n’aurait eu l’idée de comparer ces excellens petits navires à voiles uniquement construits en vue de la navigation à de petits navires à vapeur sans mâts ni voiles, construits en vue d’un objet spécial dont les deux principales conditions sont d’offrir à la vue le moins de prise possible au-dessus de l’eau et d’obtenir une vitesse de 38 à 40 kilomètres (20 nœuds 5) à l’heure, et dont la forme et les dimensions ont été combinées dans ce dessein, alors que celles des petits navires à voiles le sont dans un dessein tout différent, qui est de bien tenir la mer, d’y fatiguer le moins possible et d’offrir à l’équipage toutes les commodités compatibles avec les exigences de la navigation et nécessaires au maintien du moral et de la santé des hommes.

D’abord les flottilles de l’antiquité n’ont rien à faire ici, puisqu’elles ne se livraient qu’au cabotage et qu’il s’agit d’attribuer aux torpilleurs en question la grande navigation; laissons-les donc de côté et arrivons au temps où la boussole fut connue en Europe et permit d’entreprendre les voyages de long cours.

En ce qui concerne les simples caravelles de Christophe Colomb, il faut remonter aux sources et ne pas s’en tenir à la légende populaire; d’abord très petites, les caravelles avaient vu s’accroître leurs dimensions; leur pont, comme cela s’est longtemps pratiqué, même pour de forts bâtimens, était interrompu au milieu et relié de chaque côté, par un passavant, aux gaillards d’avant et d’arrière ; cette disposition a fait dire par certains auteurs qu’elles étaient pontées, et par d’autres qu’elles ne l’étaient pas. On lit dans l’Archéologie navale de Jal : « En 1492, la caravelle était devenue un bâtiment moyen, ponté et pourvu d’un château d’avant et d’un château d’arrière. » On y lit encore : « Ils (les trois navires de Colomb) ne ressemblaient en