Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/901

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si souvent, qui empêchent la machine de marcher, mais qui sont insignifiantes à bord d’un bâtiment ordinaire, parce que là, en tout temps, quelques instans suffiront pour les réparer et pour. rétablir la situation de la machine et celle du navire dans leur état normal. A bord du torpilleur, l’avarie sera irréparable; c’est déjà beaucoup que les mécaniciens aient pu se maintenir jusque-là en équilibre de manière à faire convenablement leur service ; devenu corps inerte, battu par la mer du travers, le bateau éprouvera des secousses si violentes, des mouvemens si excessifs qu’aucun travail de réparation à bord ne sera possible; la perte du navire ou la cessation subie ou prompte du mauvais temps pourront seules mettre fin à cette situation critique, que tout autre navire supporterait sans péril, à moins d’une circonstance de tempête dont il n’est pas ici question.

Dans le trajet que viennent d’accomplir ces torpilleurs pour venir des ports du Nord à Toulon, un seul passage était délicat; c’était la traversée du golfe de Gascogne, qui d’ailleurs devait être courte (vingt-quatre heures suffisant pour cela), avec la vitesse modérée de route ; naturellement, pour l’entreprendre, ils ont attendu dans les ports de la Bretagne un temps assuré; mais à la mer, rien n’est certain : si l’un d’eux avait été surpris par un de ces gros temps de la partie du sud-ouest, si fréquens pendant la mauvaise saison et qui, en deux ou trois heures, amènent une mer énorme et un temps sombre et pluvieux à ne pouvoir rien distinguer autour de soi, il eût pu être compromis, et il l’eût été certainement si, dans de telles conditions, le moindre accident fût arrivé à sa machine.

Un bâtiment dont, dans le gros temps le plus ordinaire, la moindre avarie de machine compromettrait le salut, ne peut pas être déclaré un navire marin et apte à toute navigation.

Dans leur traversée du golfe de Gascogne, ces torpilleurs ont eu beau temps, la mer n’était houleuse que comme elle l’est d’habitude ; je sais cependant que l’un d’eux (je pense qu’il en a été de même pour les autres, mais je ne m’occupe que de celui-ci) n’a pu se servir de sa boussole, tant elle était affolée par les mouvemens imprimés au bateau par la navigation ; il a dû se passer de cet instrument indispensable et se diriger au jugé. Heureusement, la nuit fut belle et le ciel clair, et, grâce à l’étoile polaire, à l’aide de laquelle il put se donner une direction approchée, il atteignit la côte d’Espagne, mais à l’aventure, et il atterrit dans un port autre que celui sur lequel il voulait se diriger. Les observations nécessaires pour la navigation hauturière eussent été impossibles; la seule qui eût été praticable, quoique difficile, était la hauteur méridienne de manière à se donner une latitude passable.