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progrès ; il serait logique d’en tirer la conséquence naturelle et de demander la mise à la retraite de tout ce monde-là. Puisqu’il ne constitue qu’un impedimentum, sa présence dans le corps ne peut qu’être contraire aux intérêts du pays. En agissant ainsi tous les dix ou quinze ans, on serait assuré d’avoir toujours une marine jeune, incapable de s’endormir dans la routine, dans le culte des vieilles idées et disposée à se lancer à toute vapeur, sans regarder ni à droite, ni à gauche, dans la voie du progrès. On réaliserait ainsi le double avantage de pouvoir donner un avancement plus rapide aux officiers intelligens et de ne jamais être gêné par la voix de l’expérience et celle du bon sens, réclamant sans cesse pour que tout changement se fasse avec une prudente mesure et après de mûres réflexions.

Ces accusations contre les officiers généraux et supérieurs sont mal fondées : il n’y a, dans la question des torpilles, ni jeune, ni vieille marine, ni routine, ni préjugés, ni attachement aux «vieilles » idées en opposition avec le progrès. En ce qui concerne l’emploi de la torpille contre les navires au mouillage, il n’y a qu’une voix : tout le monde est d’accord, la cause est entendue. Pour ce qui concerne son usage contre les bâtimens à la mer, ce n’est qu’une affaire d’appréciations individuelles, auxquelles chacun cède plus ou moins, selon les déductions de son raisonnement ou les entraînemens de son imagination, indépendamment de l’âge. Celui qu’on représente, à tort ou à raison, comme le promoteur de la prédominance absolue de la torpille et du délaissement des vaisseaux, est dans sa soixantième année, et il connaît trop bien le savoir et le mérite du corps des officiers de vaisseau, dont il est un membre distingué; il sait trop avec quel soin la plupart des officiers, dans le cours de leur carrière, et quel que soit leur âge, se tiennent au courant de tous les progrès, de toutes les innovations, de toutes les expériences, pour ne pas être convaincu, j’en suis certain, qu’il n’y a ici en présence ni jeunes, ni vieux, ni progressistes, ni arriérés, mais seulement des gens également instruits, également éclairés, également dévoués au bien de la marine, comme à la gloire du pays, et différant simplement, sur certains points essentiels ou accessoires, et notamment sur la question de mesure et d’opportunité. Quelques officiers, autant jeunes que vieux, peuvent être exagérés dans un sens ou dans l’autre; mais la masse, la grande masse, veut le développement de l’arme nouvelle, sans condamner absolument l’ancienne. Elle veut le progrès, elle est capable de le comprendre et de le réaliser ; mais elle le veut allié à la prudence et à la mesure, qui seules peuvent le rendre certain et l’empêcher d’être accompagné d’erreurs et suivi de mécomptes.