un temple grec ne serait pas dans son cadre nu flanc abrupt des Monts-Alleghanys. Quelle autre architecture doit donc le remplacer ? Ici se pose la question : existe-t-il vraiment une poésie ou même une école littéraire américaine distincte ? Les critiques, hors de l’Amérique et en Amérique même, s’accordent mal sur ce sujet. La plupart allèguent que la qualité caractéristique d’une école nationale ne dépend pas absolument des types, des localités et autres matériaux employés par l’artiste, mais de la façon vraiment nouvelle dont il s’en sert. Le dialecte même et les traditions typiques d’une province n’ont pas le pouvoir de transmettre leur originalité à l’écrivain qui les appelle à son secours ; c’est l’esprit, non la lettre qui donne la vie ; nous tenons compte du goût d’un fruit plutôt que de sa forme et de sa couleur.
À moins que le sentiment et la vision du poète réputé national ne lui appartiennent en propre, différant en Amérique, par exemple, du sentiment et de la vision d’un Français, d’un Allemand, voire d’un Anglais, le poète n’a pas le droit de proclamer son œuvre américaine. Sur ce-point, M. Stedman se range à l’avis d’un autre critique de son pays, M. Grant White ; mais où il se sépare de lui complètement, c’est quand M. White assure que les Américains sont aujourd’hui encore Anglais jusqu’aux moelles et qu’ils resteront tels durant des siècles, peut-être ; c’est lorsqu’il prétend que la littérature comme la langue seront anglaises tant que le sang anglo-saxon et le sang hollandais, le sang allemand et le sang irlandais, le sang nègre et le sang chinois ne se seront point mêlés tellement que de leur fusion puisse jaillir une race nouvelle.
S’il est vrai que le style soit l’homme, M. White a tort, car l’œil le plus inexpérimenté reconnaît très vite un Américain d’un Anglais. Les Américains diffèrent singulièrement entre eux selon qu’ils viennent de telle ou telle partie d’un pays aussi vaste à lui tout seul que l’Europe entière, mais, à quelque variété qu’il appartienne, l’Américain, par son physique, sa manière de penser, de sentir, de s’exprimer, ne ressemble guère à l’Anglais. Où M. White se trompe surtout, c’est quand il cite à l’appui de son dire the Scarlet Letter de Hawthorne, cette chronique émouvante qui reflète en un drame sombre et subtil le genre de mysticisme spécial à la Nouvelle-Angleterre. M. Émile Montégut l’avait dit et démontré avant M. Stedman, en accordant au grand romancier pessimiste le mérite rare d’avoir découvert et exploré une localité nouvelle de l’âme : Nathaniel Hawthorne est foncièrement Américain ; Emerson l’est aussi, quoiqu’on dise de l’un et de l’autre à la légère : Hawthorne est un Anglais, Emerson est un Allemand. « Personne, ajoute très judicieusement M. Montégut, ne s’est jamais formé tout seul ; tout écrivain fait son éducation dans une littérature particulière, ce qui ne veut point