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En effet, au sommet de chaque maison, s’étalent pour le moins deux nids de cigognes, souvent trois, quelquefois six; j’en ai même compté un jour jusqu’à huit sur une maison un peu plus grande, il est vrai, que la moyenne. Ces cigognes font le meilleur ménage avec les habitans, qui ont pour elles une sorte de culte, les regardant comme des oiseaux de bon augure, ennemis des reptiles et des animaux dangereux. En tuer une serait à leurs yeux une sorte de crime. Aussi les cigognes ont-elles la plus grande confiance dans les indigènes; elles font leur nid sur des maisons à peine élevées de un ou deux mètres, où les enfans pourraient les atteindre si la fantaisie leur en prenait. Mais à Dieu ne plaise ! Enfans, chiens, chats, poules, tout vit avec les cigognes dans une promiscuité innocente. Celles-ci vont et viennent à leur aise, portant la nourriture à leurs petits, qu’on voit ouvrir leurs longs becs maladroits au-dessus de leurs nids difformes, sans être jamais dérangés. Elles poussent continuellement le même cri, sorte de bruit de crécelle des plus désagréables, que les indigènes comparent à celui que font dans les bains maures les patins de bois des femmes, nommés calcabs. C’est une véritable scie, dans l’acception métaphorique du mot, mais qui n’incommode personne. Si peu poétiques que soient les cigognes, les indigènes les aiment assez pour leur confier parfois les plus délicates missions. j’ai entendu un jour un jeune berger chanter à l’ombre d’un arbre sur lequel une cigogne, prête à prendre son vol, agitait lourdement ses ailes, une chanson mélancolique dont voici la traduction :


O cigogne, ô toi à la taille élevée, ô toi qui habites au sommet du donjon, va et salue de ma part la coquette dédaigneuse qui a des bracelets de pieds retentissans et qui cause ma folie.


C’est chez le cheik El-Habbâsi que je me suis initié au cérémonial d’une réception marocaine. Nous étions allés le voir pour le remercier d’être venu à notre rencontre avec un brillant appareil et de nous avoir envoyé une mouna magnifique. Il nous reçut dans une sorte de pièce largement ouverte sur un jardin d’orangers et de citronniers. Des coussins et des tapis avaient été répandus par terre pour que nous pussions nous asseoir ou nous coucher à volonté ; toutefois le cheik lui-même se tenait sur un méchant fauteuil d’Europe, aux pieds usés et branlans, et il avait réservé une chaise de même origine et non moins délabrée pour M. Féraud. Le jardin était rempli de groupes de serviteurs et de soldats qu’on eût dit disposés en vue de la décoration. Pendant que le cheik causait avec M. Féraud, s’émerveillait de sa science en arabe et le priait de lui en laisser un témoignage en lui écrivant un morceau quelconque