Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/870

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qualité, autant du moins que j’en ai pu juger en visitant les magasins de M. Delaroche. De même, presque tous les articles que El-Arâïch reçoit d’Europe viennent de France ; ce sont les sucres, les bougies, la quincaillerie et les allumettes.

El-Arâïch est pittoresquement située sur la pointe rocheuse qui domine, au sud, l’embouchure du Loukkos. L’intérieur de la ville a conservé, en grande partie, sa physionomie espagnole, et les défenses de la place sont encore celles qui existaient en 1687, au moment où Moula-Ismaïl s’en empara. « En consultant le plan de la ville annexé à la relation de Pidou de Saint-Olon, dit M. Tissot, on reconnaît facilement le fort Saint-Jacques, le château de Saint-Étienne, situé à l’ouest, et remarquable par les quatre coupoles qui en surmontent les angles, la vieille Tour du Juif et le château de Notre-Dame d’Europe, qui défend le front méridional de l’enceinte et sert aujourd’hui de kasbah. La ville n’est pas dominée et il a fallu, comme le faisait justement remarquer l’ambassadeur de Louis XIV, toute l’incurie du gouvernement espagnol pour la laisser tomber entre les mains des Marocains[1]. » Ceux-ci, d’ailleurs, ne montrent pas moins d’incurie que les Espagnols, et à la première occasion, ils ne manqueraient pas de laisser tomber, à leur tour, aux mains de l’ennemi, la conquête de Moula-Ismaïl. Rien de plus délabré que les murailles d’El-Arâïch, qui rappellent tout à fait par leur système de construction, mais par cela seulement celles d’Antibes ou de Villefranche. Elles sont couvertes d’une immense végétation d’arbustes qui disjoint les pierres et les fait tomber une à une dans des fossés non moins arborescens. Sur leur sommet s’étalent, en manière de créneaux, une série de nids de cigognes. Les cigognes sont là chez elles; j’en ai vu qui donnaient à manger à leurs petits; j’en ai vu d’autres qui préparaient leur naissance tranquillement, ouvertement, sous l’œil de Dieu, bien sûres de n’être dérangées par personne et de ne scandaliser qui que ce soit. Les fortifications, plus pittoresques que sérieuses, entourent une ville à bien des égards charmante. Elle est beaucoup plus colorée que Fès et que Meknès, qui sont entièrement blanches; l’architecture n’en est pas sans grâce. La kasbah est précédée d’une porte monumentale en plein cintre, entourée de ce treillis léger qui sert de décoration à la Giralda de Séville. Est-ce par un résultat de l’usure, n’est-ce pas plutôt par un de ces raffinemens d’élégance si communs dans l’art arabe, que les montans de la porte vont en s’élargissant, en s’évasant à mesure qu’ils descendent de l’arc de la voûte vers la terre ? Quoi qu’il en soit, l’effet est des plus heureux. Un grand nombre de maisons en ruines dans la ville ne sont pas moins finement décorées

  1. Itinéraire de Tanger à Rbat’.