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montagnes du Cantal me parlaient d’un monde que je m’imaginais rempli de prestiges et où je me proposais de marquer par les plus féconds travaux. Celles du Maroc ne pouvaient pas me tenir le même langage. Je savais trop bien que je n’y étais venu chercher que de simples études politiques, et je n’ignorais pas davantage à quoi servent et le peu que valent les études politiques. Toutes les illusions du passé sont retombées trop lourdement sur moi pour qu’il m’en reste sur l’avenir. Ce n’est point une raison de renoncer à l’œuvre entreprise. Même avec la conviction qu’elle sera inefficace, il faut la poursuivre avec l’obstination du patriotisme qui survit à tout. Voilà ce que je me disais en rentrant au camp, sans m’apercevoir que la nuit était tombée, que la lune s’était levée et que nos tentes blanches, sous sa douce clarté, ressemblaient à des fantômes subitement arrêtés au milieu d’un site approprié aux plus imprévues des féeries. Mes compagnons de voyage, plus sages que moi, avaient travaillé au lieu de méditer sur la vanité du travail. Les militaires avaient complété leurs itinéraires, M. Henri Duveyrier avait rempli plusieurs feuilles de son herbier, et M. Féraud avait ramassé un grand nombre de pointes de flèches et de silex taillés qui abondent sur ces plateaux. Sept années plus tôt, accompagnant une ambassade à Fès, il avait déjà fait une ample moisson d’objets du même genre au marabout de Sidi-Yemani. Mais il tenait à prouver que l’âge de pierre avait laissé de nombreuses traces dans toute la contrée, et il s’était résolument mis en course à cet effet. Bel exemple, qui prouve plus que mes réflexions mélancoliques la profonde sagesse de la devise que Septime Sévère donnait pour mot d’ordre aux désabusés : Laboremus !


III. — EL-ARAICH.

De Kerarete à El-Arâïch, l’étape est charmante au mois d’avril, alors que les fleurs poussent partout et que le soleil colore la campagne de ses plus beaux rayons. Au milieu des verts taillis mouillés auxquels elle avait donné un éclat d’une douceur et en même temps d’une vivacité inimaginables, j’ai presque béni la pluie qui m’avait fait si cruellement souffrir quelques jours auparavant. À très peu de distance de Kerarete, nous sommes entrés dans ce qu’on appelle au Maroc une forêt ; mais il ne faut rien imaginer de pareil aux forêts de Fontainebleau et de Saint-Germain. Ici point d’arbres aux ombres profondes, point de fourrés impénétrables, point de hautes branches filant hardiment vers le ciel et se cachant aux regards des voyageurs ; les chênes-liège, au milieu desquels nous circulions, étaient à peine plus élevés que nous ; les bruyères blanches et rouges qui poussaient à côté d’eux atteignaient leur sommet, mariant un coloris délicat