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avoir insultés, ne trouvait pas de costume assez vil pour nous marquer son repentir. Assurément, les Marocains ne sont point seuls à agir ainsi. Tous les musulmans ont les mêmes mœurs. Je n’oublierai jamais le voyage que j’ai fait en Tunisie, avec M. Cambon, un an à peine après la conquête. A chaque ville, à chaque village où nous passions, la population entière, les autorités en tête, accourait se prosterner sous nos pas, baiser nos bottines, nous marquer l’obséquiosité de la plus dégradante servitude. Nous venions pourtant de prendre leur pays ! Le sang de leurs frères répandu pour la défense d’une terre de l’islam était encore chaud! n’importe! nous étions les maîtres, ils se courbaient sous nos talons. C’est par là que ces peuples sont inférieurs; c’est par là qu’ils sont condamnés à subir la domination étrangère; c’est par là qu’ils diffèrent de nous et qu’ils nous répugnent profondément. Il n’y a, Dieu merci ! point en Europe de race assez avilie pour s’incliner ainsi, le lendemain de la défaite, devant le conquérant! Souvent même, le temps n’étouffe pas la protestation du patriotisme et de l’honneur ! Mais les Marocains m’ont paru plus arrogans et plus plats encore que les Tunisiens et que les Orientaux. Je ne veux pas dire pour cela, — le ciel m’en préserve (— qu’ils doivent être conquis ; je me borne à constater l’impression qu’ils m’ont produite et qui ne s’applique d’ailleurs qu’à une partie d’entre eux la partie sur laquelle s’étend le pouvoir du sultan.

Débarrassés du califa d’El-Arâïch et de son escorte, nous étions allés camper au flanc d’un coteau encore plus chargé de fleurs que tous les autres, près d’un village nommé Kerarete, de kareta, charrette. C’est à coup sûr un des plus délicieux campemens que nous ayons eus au Maroc. Le temps était devenu tout à fait beau; il ne restait de la pluie qu’une fraîcheur exquise qui ravivait les fleurs et la verdure. Autour de nous s’étendaient des collines gracieuses; en face de nous, d’immenses montagnes enveloppées d’une atmosphère d’or s’élevaient sur le ciel transparent et rosé. Ce pays ressemblait d’une manière frappante à celui où je suis né, et si je n’avais vu tant d’Arabes autour de moi, je me serais cru sur les hauts plateaux du Cantal, non moins fleuris et plus poétiques encore que ceux du Maroc, et dont j’ai si souvent parcouru les solitudes aux jours déjà lointains de mon enfance. A de si grandes distances, des milliers de souvenirs s’éveillaient dans mon cœur pendant que je me promenais seul aux abords du camp. Je cherchais à m’expliquer pourquoi une nature toute pareille à celle qui, jadis, me causait des émotions si douces, provoquait en moi tant de rêveries troublantes, et ne se reflétait plus sans tristesse dans le miroir terni de mon âme. Hélas ! ce n’était pas une énigme que je me posais, car la réponse était facile à trouver. Quand j’errais, plein d’espérance, sur leurs cimes, les