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insolence grave, c’était encore une manière de marquer la supériorité du musulman sur le chrétien. — M. Féraud ne bouge pas ; pour toute réponse, il se tourne vers le caïd raha en disant : « Je l’attends ! » Le califa comprend ; il descend honteux, mais furieux, de cheval. Alors seulement M. Féraud consent à lui parler. Cet épisode, venant après celui du fils du pacha de Tanger, nous prouvait surabondamment que les Marocains voulaient en quelque sorte nous tâter, pour savoir combien d’insolences ils pourraient se permettre impunément envers nous. Aussi, quand nous reprîmes notre route, le califa, de mauvaise humeur, ayant voulu nous engager dans un sentier trop boueux, M. Féraud lui donna l’ordre de se retirer au plus vite, lui déclarant qu’il n’avait pas besoin de lui, et qu’il rendrait compte de sa conduite au sultan. Le califa partit abattu. Je ne pensais plus à l’incident, lorsque le soir, parmi les paysans qui venaient nous apporter au camp la mouna, c’est-à-dire les vivres nécessaires à notre subsistance, j’aperçus avec surprise un homme vêtu de haillons, l’air plus que modeste, la contenance humiliée, qui ressemblait pourtant de la manière la plus frappante au riche et hautain califa d’El-Aràïch. C’était en effet lui qui arrivait en suppliant après s’être montré en dominateur. M. Féraud fit semblant de ne pas le reconnaître. Mais en remerciant les paysans de la mouna, il leur adressa un petit discours dans le plus pur arabe, où il leur dit qu’il allait vers le sultan, allié de la France, et qu’il saurait lui parler d’eux. « Nous sommes les serviteurs du sultan! » s’écrièrent-ils tous en chœur, le califa criant plus haut que les autres. « Sans doute, répondit M. Féraud; par conséquent, comme nous sommes ses alliés, ses amis sont les nôtres, et de même nos ennemis sont les siens. » À ce mot, je vis pâlir le califa ; il semblait chercher à se cacher sous son vêtement sordide et, dans l’obscurité du soir, sa figure effrayée avait quelque chose de bas, de sombre et de cruel.

Je relève ces traits de mœurs parce qu’ils peignent bien le caractère des Marocains. Ils n’ont rien du charme et de la délicatesse de certains Arabes ; ils ne sont point naturellement affables et hospitaliers. Ce sont des natures lourdes, dures et grossières. Je me garderais bien de leur reprocher leur insolence envers les Européens, si cette insolence partait de l’âme, si elle était la protestation de la faiblesse qui se sent opprimée et qui s’en indigne. Mais elle est provoquée par un sentiment différent. Les Marocains ne se montrent d’abord si pleins de morgue que pour essayer leur force contre nous, et ce qui le prouve, c’est l’humiliation dans laquelle ils se vautrent spontanément devant nous dès qu’ils se sont bien convaincus que cette force n’existe pas. Quand ils ont reconnu qu’ils ne sauraient marcher sur nos têtes, ils tombent à nos pieds. Le califa d’El-Arâïch, après nous