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meule du moulin devenant le signe distinctif d’un certain nombre de soldats, comme les janissaires à Constantinople avaient leurs marmites pour insignes. Le caïd raha était en même temps caïd alef, commandant 1,000 hommes, et ayant sous ses ordres dix caïds mia, commandant chacun 100 hommes. C’était donc une sorte de colonel, ou plutôt de général, un personnage fort important, et, de plus, très habitué aux Européens. Il avait fait partie de diverses ambassades, à Rome, à Londres et à Paris, parlait volontiers de ses voyages et montrait peu de préjugés, ainsi qu’il convient à quelqu’un qui a beaucoup vu, et partant beaucoup retenu. La caravane qu’il conduisait à notre rencontre se composait de 170 mulets porteurs de bagages, de 52 mulets affectés au service de deux batteries d’artillerie de montagne que nous allions offrir au sultan, de 69 soldats d’escorte permanente, de 18 chevaux pour les diplomates et les officiers, de 13 chevaux pour les ordonnances, les sous-officiers et les domestiques, de 12 mulets montés, de 10 chevaux et mulets haut-le-pied ; enfin, de 12 chameaux. Non devions, en outre, être rejoints et escortés, dans chaque province, par le caïd de la localité, entouré de son goum, c’est-à-dire par quelques centaines de cavaliers chargés plutôt de nous foire honneur et d’exécuter des fantasias autour de nous que d’assurer notre sécurité, suffisamment garantie par nos 69 soldats d’escorte et par les janissaires de la légation.

La caravane nous attendait donc aux portes de Tanger ; mais il pleuvait toujours ! Ce temps épouvantable avait retardé également l’arrivée de la mission militaire, commandée par un lieutenant-colonel de cavalerie, le colonel Teillard, du 8e cuirassiers, et composée d’une dizaine d’officiers d’armes diverses, qui nous était envoyée de France et d’Algérie. La mer était singulièrement mauvaise, le débarquement au port des plus difficiles. Pour transporter en bateau, dans la ville, les canons destinés au sultan, il fallut les plus pénibles et surtout les plus longs efforts. Il ne fut pas plus aisé d’y transporter quatre admirables jumens que nous devions offrir aussi au souverain du Maroc. L’une d’elles mourut même des suites de l’opération. Enfin, les entreprises les plus compliquées ont un terme. La caravane marocaine était nettoyée, la mission militaire était rendue à Tanger, les présens étaient dans la cour de la légation de France. Il ne cessait pas de pleuvoir! Le temps s’écoulait tristement, chacun était las d’attendre, on se décida à partir coûte que coûte. Le 24 avril, une légère éclaircie eut lieu dans le ciel ; aux averses à jet continu succédèrent de courtes averses plus fines. Etait-ce le retour du soleil? Pour tenter la fortune, on résolut d’expédier le camp et les bagages en avant et de fixer, quoi qu’il arrivât, le départ de la mission au lendemain. Le lendemain, 25 avril,