Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/849

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dire que, comme architecture, cette ville offrait médiocrement d’intérêt. j’ai voulu parler surtout des mosquées qui paraissent peu remarquables, autant du moins qu’on est en mesure d’en juger, car, étant absolument fermées aux infidèles, on n’en voit jamais l’intérieur. L’extérieur est fort commun. Elles sont toutes surmontées d’un minaret carré, en forme de tour, au-dessus duquel s’élève un petit observatoire que terminent un certain nombre de boules dorées enfilées les unes sur les autres; parfois, mais rarement, un croissant imperceptible est placé au-dessus de la plus haute boule. On dit que le grand minaret de Maroc est décoré d’un gigantesque croissant. C’est à coup sûr le seul qui présente dans le pays de pareilles dimensions. Le rôle du croissant est absolument nul au Maroc ; il ne figure ni sur les drapeaux, ni sur les cachets, ni sur aucun insigne ; on ne le voit presque nulle part. Il est remplacé par l’anneau de Salomon, figure cabalistique destinée à préserver du mauvais œil. Cet anneau se rencontre partout dans les maisons, dans les mosquées, aux plafonds, dans les arabesques, sur les tapis, dans les candélabres suspendus, dans le mobilier du pauvre et jusque sur le cachet du sultan. Ce n’est d’ailleurs qu’une imitation imparfaite de l’anneau de Salomon, khatem Sidna Seliman, lequel est caché dans le tombeau du grand roi, patron des sorciers musulmans, où personne n’est allé le chercher; on se contente d’en reproduire une image approximative, qui se compose de deux triangles équilatéraux enlacés de manière à former une étoile à six pointes. L’anneau dont Salomon usait à son ordinaire était, dit-on, d’une seule pièce, et l’on y avait fait entrer une parcelle de tous les métaux ; il représentait bien des entrelacs, mais il était impossible d’y découvrir aucune jointure. Avec ce précieux talisman, Salomon gouvernait les élémens et les esprits, tant les esprits bienfaisans ou djenoun que les mauvais ou chitanin; son action ne s’arrêtait qu’à Satan le Lapidé, le diable noir par excellence, chitan-el-k’hal. Après tout, c’était déjà beau, et je doute que le croissant soit capable d’aller jusque-là !

Si les mosquées de Tanger n’ont rien de remarquable, il n’en est pas de même de la kasbah, qui renferme le palais du gouverneur, les casernes r les prisons et un certain nombre d’habitations particulières. Un minaret octogone, décoré de jolies arabesques et de gracieuses ogives, la domine de toute sa hauteur. Le palais du gouverneur mérite surtout d’être visité. On y arrive par une vaste cour intérieure, que les peintres ont cent fois reproduite, mais qu’on admire encore après tant de reproductions ; el e est ornée de colonnes de marbres de différentes couleurs, sur lesquelles sont posés des chapiteaux corinthiens échappés sans doute à la destruction de l’ancienne Tingis. Après avoir traversé cette cour, il faut se