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le contraire et, après avoir laissé le budget en déficit, il a essayé d’augmenter par des droits le loyer de la terre. Le gouvernement a voulu aussi modifier les salaires et il a trouvé, à propos de la grève de Deçazeville, le moyen de raviver la question sociale, qui s’était apaisée depuis 1848.

Le fait d’une grève n’a en lui-même rien d’extraordinaire ; il y a eu des grèves dans tous les temps, sous tous les régimes, dans tous les pays, mais c’est l’attitude de la majorité de la chambre, ce sont les déclarations du ministère qui ont donné à la grève de Deçazeville un caractère exceptionnel et inquiétant. Comment ! voici une compagnie, subissant la crise qui pèse sur toute l’industrie houillère; plus malheureuse que d’autres, elle a cessé de servir des dividendes, et si, l’année dernière, a été sans bénéfice, on peut affirmer que cette année ne sera pas sans perte. Cependant, cette compagnie n’a pas ralenti son travail, elle n’a même pas diminué les salaires; elle n’a commis jusqu’à ce jour qu’un crime : elle a fourni à meilleur marché des objets de meilleure qualité à la classe ouvrière; mais qu’importe? Un jour, le travail cesse, un ingénieur est massacré sous les yeux de l’autorité et, alors, commence une série de faits sans précédens jusqu’ici en France et sans exemple dans les autres pays. Au lieu de s’occuper à maintenir l’ordre, à assurer la sécurité des personnes et la liberté du travail, à poursuivre les auteurs du meurtre, l’administration intervient pour obtenir des directeurs de la compagnie des concessions ; tantôt elle demande le renvoi d’un ingénieur qui déplaît aux ouvriers ; tantôt elle appuie des modifications de salaire ; en même temps, le parlement est saisi de la question et, tandis que la grève dure, c’est-à-dire tandis que les deux partis, représentant des intérêts divers, sont aux prises, le meurtre. étant impuni, le ministre de l’intérieur autorise la délibération d’un conseil municipal qui envoie 10,000 francs aux familles des grévistes; ce subside ne paraît pas au gouvernement un acte politique, ni un concours donné à l’une des parties en présence. Non, pour que cet acte ne soit pas une intervention en faveur des grévistes, il suffit que le vote du conseil municipal soit libellé en bons termes, et qu’il porte que c’est un secours donné non aux grévistes, mais à ceux qui souffrent de la grève ; voilà un jeu de mots digne d’illustrer le ministre qui l’a imaginé et qui n’a pas manqué de séduire d’autres conseils municipaux. Le ministre de la guerre a tenu à ne pas se laisser distancer par son collègue de l’intérieur et sa harangue a obtenu un succès européen; il nous a appris que la présence des soldats au milieu des grévistes leur permettait de partager avec leurs frères leur modeste ration, et que, si le nombre des soldats était grand, les grévistes ne devaient pas s’en plaindre puisqu’ils pourraient ainsi partager plus de rations. Jamais pareil