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attache au mot de république son vrai sens et qu’il sache que ce régime ne signifie qu’une chose : c’est que le chef de l’état est désigné par l’élection au lieu de l’être par l’hérédité ; or, qui soutient maintenant en France que le chef du pouvoir exécutif pourrait se passer des suffrages de la nation et qu’en vertu de sa naissance seulement il s’imposerait à la volonté du pays? La constitution de 1875, en déclarant que le chef de l’état était choisi par la nation, s’est contentée de rendre légal le fait qui existait depuis 1830 et qui remontait même à la fin du siècle dernier. C’est la simple consécration d’un fait historique.

La situation des partis dans la chambre des députés serait singulièrement modifiée, si ceux qu’on qualifie de conservateurs se plaçaient résolument sur le terrain de la constitution et affirmaient hautement qu’ils n’ont rien de commun avec ceux qui rêvent une révolution politique, ni avec ceux qui préparent une révolution sociale. Les conservateurs, en se laissant entraîner à des manifestations monarchiques, n’ont pas seulement éloigné d’eux, le 18 octobre, un certain nombre d’électeurs, mais ils ont été amenés à prendre dans la chambre, comme au congrès, une attitude qui ne convient point aux véritables représentans de l’ordre.

Au lieu d’appuyer résolument toutes les mesures de défense sociale, sans se soucier des hommes assis au banc des ministres, ils se sont compromis dans des alliances regrettables avec l’extrême gauche. Le pays a-t-il pu comprendre pourquoi le parti conservateur a voté l’amnistie et repoussé l’exécution du traité avec la Chine? Pourquoi se séparer des ministres lorsqu’ils proposaient de liquider les expéditions du Tonkin et de Madagascar, suivant le vœu de la nation, et pourquoi les combattre lorsqu’ils essayaient, en refusant l’amnistie, de résister au flot révolutionnaire? c’est à l’attitude de la droite, autant qu’à l’intervention de l’administration, qu’est dû le scrutin de février dernier. À cette date, le pays avait vu disparaître un de ses trois griefs contre le ministère : les expéditions lointaines et la politique d’aventure avaient été abandonnées; il avait trouvé là une première satisfaction donnée à son vote du 4 octobre, en même temps qu’il n’avait pas compris la conduite des députés de la droite. Le parti conservateur aurait le plus grand intérêt à se servir de la constitution de 1875 ; il enlèverait à ses adversaires le seul terrain qui leur soit commun avec le pays, et il ne leur permettrait pas de se dérober en évitant de répondre à la seule question qui intéresse vraiment le public : Qu’avez-vous fait de la France depuis qu’elle vous a été confiée ?

J’ajoute que la situation actuelle est le contre-pied de la constitution de 1875. Que voyons-nous, en réalité? Une chambre des députés maîtresse absolue du pouvoir, un sénat dont l’influence diminue