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à leur faire traverser tout le camp. Près du château, ils passèrent devant les gardes du corps rangés à pied à la tête de leurs chevaux, la bride au bras et les pistolets au poing. Les salles par lesquelles ils furent introduits étaient remplies d’officiers... La plupart des régimens qui entouraient le roi l’avaient rejoint depuis son départ de Saint-Cloud et n’avaient pas été mis en présence du peuple. « Qu’ai-je affaire de ces messieurs, dit le roi au duc de Raguse? Ne peut-on me laisser ici en tranquillité ? Le lieutenant-général connaît mes intentions ; je n’ai rien à y ajouter. — c’est le lieutenant-général qui nous envoie, répondit le maréchal Maison. Soixante mille Parisiens se sont mis en marche sur Rambouillet. Nous avons reçu l’ordre de venir nous-mêmes, comme sauvegarde, à la disposition de Votre Majesté. — Et que veulent de moi les Parisiens? reprit vivement le roi. Qui les pousse à me poursuivre ainsi ? Ne me laisseront-ils pas libre de choisir l’heure et le lieu de ma retraite? Est-ce ma vie qu’il leur faut? Qu’ils viennent donc et je leur prouverai que je sais mourir! — Je ne doute pas, sire, que vous ne soyez prêt à faire le sacrifice de votre vie. Mais, au nom de ces serviteurs qui, les derniers, vous sont restés fidèles, et qui, par ce motif, doivent vous être plus chers, évitez une catastrophe dans laquelle ils périraient tous sans utilité. Vous avez renoncé à la couronne, votre fils a abdiqué?.. — Et mon petit-fils? s’écria Charles X ; j’ai réservé ses droits, je les défendrai jusqu’à la dernière goutte de mon sang. — Quelles que soient vos espérances pour lui, soyez bien convaincu, sire, que, dans l’intérêt même de ces espérances, vous devez éviter que son nom ne soit souillé du sang français. — Que faut-il faire?» dit le roi en s’adressant au duc de Raguse.

Le duc de Raguse ne prit le change ni sur le nombre des volontaires, ni sur le degré de résistance qu’ils pouvaient opposer à de bonnes troupes. Mais il appréciait sainement l’esprit de l’armée royale et le degré de fidélité qu’on en devait attendre. Il considérait, en outre, que les bois dont Rambouillet est environné ne permettraient de se servir de la cavalerie pour disperser les insurgés qu’autant qu’on les aurait d’abord fait rejeter par l’infanterie en plaine découverte; qu’il faudrait en conséquence dégarnir Rambouillet et exposer la famille royale à un coup de main. Prendre l’offensive eût donc été contraire à la prudence. La défensive n’offrait pas des conditions plus favorables. Tandis que les tirailleurs ennemis s’approcheraient dans toutes les directions, couverts par les bois, jusqu’à la portée de leurs fusils, l’armée royale n’aurait pas même l’espace nécessaire pour se déployer, et elle serait condamnée à se laisser décimer dans l’inaction. Le maréchal était d’avis d’abandonner Rambouillet et de se retirer sur l’Eure, sauf à se